Peu de musiciens peuvent se targuer d’avoir tout quitté pour le punk rock. Chanteur et fondateur du groupe marocain ZWM (Zlak Wlla Moute pour « Glisse ou crève »), Zohair et sa bande ont quitté Rabat pour Toulouse il y a maintenant 11 ans. Des certitudes, il n’en avait aucune. Malgré les galères, il ne regrette rien. Portrait d’un anticonformiste fidèle à lui-même : jamais là où on ne l’attend. | Par Polka.B
Quand on lui demande ce que ça lui fait d’être un des précurseurs du punk en langue marocaine, il se contente de hausser les épaules. Comme si tout cela ne le concernait pas directement. Comme toujours chez Zohair, rien n’est calculé. Syndrome d’un punk pur et dur ne fonctionnant qu’à l’instinct : « je ne m’en rendais pas du tout compte. Je faisais mon truc, sans me poser de questions. Pour tout te dire, j’en ai pris conscience il y a moins de deux ans en regardant le documentaire Chaos in Morocco !». Réalisé par la documentariste Clotilde Mignon, le film revient sur les origines du punk au Maroc, du début des années 2000 à nos jours. « Les gens interviewés disaient que ZWM était « le premier » groupe de punk. Si ils le disent… peut-être que c’est vrai (Rires) ». Du Zohair tout craché. D’ailleurs, quand on lui demande ce qui l’a motivé à ses débuts, l’évocation du punk rock ne lui effleure pas les lèvres. Ce sont d’abord les vagues des plages marocaines qui l’ont incité à prendre le large. S’émanciper. Sortir des carcans de la tradition. Se sentir vivant. « J’étais attiré par la glisse en général. Le surf, le skateboard… ce sont les origines de ZWM. À la base, nous sommes des amateurs de sports extrêmes. On skatait toute la journée… C’est vraiment ce qui nous liait». Bien avant l’ère des connexions internet, sa première rencontre avec la musique se fait par l’intermédiaire d’un magnétoscope. En contact avec des amis marocains expatriés en Espagne et aux États-Unis, son grand frère ramène régulièrement à la maison des cassettes VHS de surf. Comme toujours, sa rétine s’accroche au vagues…
« Pour moi, les surfers sont les seuls mecs qui vivent concrètement. Quand tu les vois prendre la vague, tu te dis qu’il caressent la vie. Derrière les images, il y avait une bande sonore. Et c’était du punk. Mais des trucs « infra- underground », pas du tout connus ! Mine de rien, mon oreille s’est habituée à ces sons. Quelques années plus tard, on s’est retrouvés avec mes potes. On s’est dit qu’on allait faire un projet « Ride or Die ». J’étais ok, mais je voulais le faire « à la marocaine ». J’avais déjà joué dans un petit groupe par le passé, mais les autres n’avaient aucune notion de musique. On est vraiment partis de zéro. Ils ne savaient même pas faire un accord ! Ça a commencé comme ça… Qui ne tente rien n’a rien. Ils ont bossé et ça l’a fait. Le premier truc qu’on a joué c’était « Time Bomb », une reprise de Rancid en langue marocaine. Punaise !! Mais qu’est ce que ça collait ! Pas tout de suite bien sûr… car la source de la prononciation du mot n’a rien à voir. Le boulot, c’était de bien tailler les paroles pour qu’elles collent à la mélodie. Mine de rien, il y a du travail derrière ! »
Les ZWM sont lancés. Sans local de répétition, sans amplis et sans instruments dignes de ce nom, c’est le festival Casablancais L’Boulevard qui va leur donner l’occasion de s’illustrer en 2007.
Le tremplin du L’Boulevard
Depuis le début des années 2000, l’événement fait figure de réunion majeure pour tous les amateurs de musique alternative au Maghreb (hip-hop, fusion et rock en général). Totalement gratuit, et accueillant plusieurs milliers de personnes, le festival convoque autant les grandes têtes d’affiches internationales (de Mos Def à Gojira) que les jeunes projets locaux en train d’éclore. Plutôt adepte de metal, le public local est stupéfait de découvrir des punks de Rabat programmés sur la scène tremplin. Leur surprise ne fait que grandir lorsque les ZWM montent sur scène, lookés comme jamais. Zohair porte fièrement une gigantesque crête rouge, et de grandes chaussettes rayées de noir et de blanc, muni de ses fidèles sandalettes transparentes.
« Derrière tout ça, il y avait un message. C’était vrai au Maroc, mais cela aurait pu être le cas partout ailleurs. Dans nos sociétés, les artistes sont marginalisés. Dans n’importe quel travail, l’employeur ne m’aurait jamais accepté tel quel. Il aurait fallu se raser la tête et mettre de vraies chaussures. Le système attend quelque chose de toi. Quoi qu’on en dise, il est impossible de s’habiller comme on veut. D’être différent. »
Le temps d’emprunter sur le fil des instruments à des musiciens programmés le même jour, les ZWM se branchent sur les amplis, impressionnés par l’espace scénique et la taille des enceintes. Habituée aux paroles en anglais, la foule entend les premiers couplets chantés dans sa propre langue.
« Cette scène m’a marqué. C’est la première fois que j’ai vu qu’il pouvait y avoir une interaction avec les gens. Pour nous, c’était déjà largement suffisant. On voulait juste monter sur scène et jouer, rien de plus. Après, on est partis faire la fête tous ensemble. En rentrant le dimanche soir, on est repartis au festival pour voir le dernier groupe. C’était le moment de la remise des prix. Le gagnant du tremplin des jeunes musiciens pour la catégorie rock-métal…. c’était nous ! J’ai couru, et je me suis jeté sur le public pour accéder à la scène. Je nageais sur les gens ! C’était un moment incroyable, jamais je ne l’oublierai. »
Motivé par l’expérience, le groupe n’a désormais qu’une seule obsession : enregistrer ses morceaux. Une démarche particulièrement compliquée dans un pays privé d’infrastructures. Tant bien que mal, les ZWM parviennent à dénicher un studio de fortune. Déçus par la qualité du rendu des morceaux, ils décident de les jeter aux oubliettes. L’espoir de sortir un album renaît en 2009. Basé à Toulouse, un jeune manager est intéressé par le groupe. Il veut les faire jouer en France et leur promet l’enregistrement d’un album.
Départ pour la France
Cellule de crise pour le groupe. L’excitation est à son comble. L’opportunité est inattendue, d’autant qu’elle ne se présentera certainement qu’une fois. Mais les cinq musiciens sont-ils vraiment prêts à tout quitter pour vivre leur rêve ?
« Assumer une « remise à zéro », ce n’est pas rien. Nous allions devoir quitter tout ce que nous avions au Maroc. Certains étaient en pleine formation… ils étaient prêts à recevoir leur diplôme ! Moi, j’étais dans une société de génie civil. Notre ancien guitariste a pris la décision de rester au Maroc… mais on s’est quand même lancés en 2011. Une fois arrivés en France, on s’est confrontés aux problèmes. Le premier, c’était d’avoir un toit. Ça s’est aggravé avec le temps…»
A Toulouse, les ZWM enregistrent enfin leurs morceaux et donnent leurs premiers concerts. En parallèle, ils se confrontent aux premières difficultés administratives. Les demandes de visa sont complexes, et les titres de séjour obéissent à des conditions drastiques. En tant qu’artistes étrangers présents sur le territoire à titre « provisoire », difficile (voire impossible) de trouver du travail. Entre temps, le label du manager toulousain s’endette et met la clef sous la porte. C’est le début d’une longue traversée du désert pour les cinq membres du groupe.
« Entre 2012 et 2015, c’était la galère. Notre ancien batteur nous a quitté car c’était trop dur. Notre ancien bassiste a déprimé, il n’en pouvait plus non plus. On s’est rapidement retrouvés à trois : Zak, Amine et moi. En ce qui me concerne, je me foutais des conséquences. Peu importe ce qui pouvait arriver, il fallait que je fasse mon truc. J’ai l’habitude d’être en galère. Ça m’a rendu plus fort. Notre carte de séjour nous disait : « je m’en fous de vous, débrouillez-vous ! ». Concrètement : tu ne peux pas travailler. Donc, tu ne peux pas manger, ou dormir au chaud. Et pas de loisirs, évidemment. On a pas mal squatté pour dormir. On se demandait si on n’allait pas devoir se mettre à voler pour manger tous les jours. Quand on était encore tous les cinq, ça allait. Mais après, c’était la chute. Il fallait trouver une alternative pour survivre dans la jungle ! (Rires) Du coup, on a fait connaissance avec des collectifs et des associations. Je ne parle pas de musique, mais de personnes qui ont une expérience dans la galère. On a ouvert des endroits et on a fait de la récup’… ça nous a construit. On connaît la vie pour de vrai. Comment t’en sortir quand tu n’as rien ? C’était ça. On est montés de grade en grade avec des associations de réfugiés et on s’est mis à bosser avec elles. Quelque part, la galère nous a rendu plus humains »
Aux prises avec la survie, Zohair, Zak et Amine ne se perdent pas de vue pour autant. Plus de batteur, plus de bassiste… mais le cœur de ZWM bat toujours.
Le second souffle de ZWM
En 2015, la situation commence à se débloquer. Les trois amis trouvent des petits boulots et commencent à se revoir. Mais comment réanimer un groupe amputé de deux membres ? Sans se démonter, le trio improvise, comme toujours.
« Il n’y avait pas 50 solutions. Zak est passé à la batterie. Il était à 1000 % prêt ! Amine a lâché la guitare, pour passer à la basse. Il n’en avait jamais joué avant ! Moi jusqu’ici, j’étais juste au chant, alors j’ai pris la guitare. On a réuni le peu d’argent qu’on avait pour récupérer un peu de matos, et c’était reparti ! Entre 2016 et 2017, on a bossé à fond nos instruments. Chacun devait maîtriser son poste. Au bout d’un an, il était temps de confirmer notre coup d’état (Rires). Pour voir notre niveau en live, on a organisé notre propre concert à la Cave à Rock. Dès ce premier essai, ça l’a fait ! Ici, personne ne comprend nos paroles. Par contre, le public réagit émotionnellement. C’est leur âme qui parle et c’est génial. »
Désormais prêt à remonter sur scène en trio, le groupe réalise son tout premier clip « L’Fawda « Le Chaos » » en 2018. Particulièrement rageur au micro, Zohair crache toute sa détermination à la face d’une destinée qui ne l’aura pas épargné, lui et son groupe.
« Personnellement, je suis toujours en situation de galère, mais, j’ai appris à persister dans ma prise de risque. C’est comme si on me l’avait toujours interdit, mais que j’y allais quand même. Je continue ! Et ça marche. »
En 2020, les ZWM tiennent toujours debout… Allez les voir en concert !