ZIPPO – Zippo contre les robots
(Rap, France / 2018)
Pour connaître un peu mieux Zippo, on pourrait taper son nom sur internet. La bonne vieille routine quotidienne des recherches Google. On verrait un mec avec une barbe et une hache, suivi d’un lien d’interview titrant « Zippo, rappeur survivaliste ».
Dans le flux (et dans le flou), on pourrait voir en lui une sorte de rappeur-bûcheron décidé à revenir à la terre. Quelque chose comme ça.
L’univers complexe du rappeur niçois ne saurait se réduire à un jugement aussi lapidaire : pour écouter cet album, on préconise de l’attention, du temps, et de la réflexion. Tout ce qui nous fait défaut au quotidien… et qui constitue le sujet même de Zippo contre les robots.
| Par Polka B.
Sur cette pochette réalisée par la peintre Marion Aubry, Zippo quitte la réalisme de ses visuels précédents pour entrer de plein pied dans le monde des machines. Perdus dans les méandres des circuits numériques, des puces sous-cutanées et des implants électroniques, nous voici parés pour l’i-monde. Un univers où placés sous surveillance, nous nous contenterions d’accepter notre sort, éblouis par des spectres de lumières multicolores qui nous aveugleraient autant qu’elles nous procureraient du plaisir.
Accepter son sort et trouver une certaine grâce dans sa propre chute… Vraiment ? Comment se résoudre à accepter ce « Meilleur des mondes » ?
Visionnaire à plus d’un titre (car sorti en 2018), ce disque pourrait parfaitement incarner la bande-son du confinement. Le temps d’un album, Zippo retourne au cœur des grandes métropoles.
Entouré d’une foule de travailleurs anonymes, il se sent seul, en immersion dans une vie prévisible et banale, implacablement réglée selon la mécanique du monde du travail.
« Nœud de cravate » bien serré, le rappeur vient prolonger la cohérence de son œuvre amorcée avec son groupe Le Pakkt depuis le début des années 2000. Comme toujours, le niçois a le don de dire beaucoup en très peu de mots :
« On s’prend pour le centre du monde, sachez,
Zippo – Greenwashing
qu’on changera le monde en bleu de travail et pas en Versace »
Dans la lignée de Bûcheron, Zippo persiste et signe : si la consommation à outrance est constamment valorisée, qu’en est-il des gens qui créent ? Qui suent à grosses gouttes, se remettent en question et (donc) se mettent en danger ? Considérant qu’il est « Plus difficile de voir sa laisse en wireless » (« L’homme à la tête creuse ») la dépendance aux applis et aux réseaux sociaux en serait aussi largement responsable :
« Avant d’apprendre à penser, les gens plongent dans la normalité
Zippo – i-monde
d’un torrent de mensonges où la vie ne sert plus qu’à fournir des idées
pour nourrir la vitrine d’un fil d’actualité »
De quoi nous remonter le moral. Oui mais voilà : au fil de 15 titres abordant des sujets peu réjouissants, Zippo parvient à ne jamais plomber l’ambiance.
D’abord grâce à une certaine exigence artistique jonglant entre différentes variétés de flow, sous des esthétiques musicales qui dépassent le boom-bap des nineties (la direction cloud rap de la balade « La mer monte », les arpèges obscurs façon drill Chicago de « Hémorragie »…). .
On a aussi apprécié la richesse de l’écriture, partagée entre lecture de faits d’actualité (« Charlie »), poème post-apocalyptique (« Cap 3000 ») et storytelling savoureux (« Palme d’or »).
Dans ce dernier, Zippo raconte son expérience d’intérimaire à la buvette du festival de Cannes. Exténué, courbaturé et armé de son transpalette, il « déplace des tonnes », bien conscient d’être aussi visible qu’une poussière. Qui viendrait se soucier d’un simple rouage dédié à une cause bien plus grande ?
D’un habile bouleversement de point de vue, l’intérimaire devient subitement le véritable artiste.
Les grandes stars qui défilent sur les marches prennent tristement vie sous le trait d’une plume acide aussi lucide qu’impitoyable…