Witchcraft Records
« Sexisme endémique et tekno underground »
Il y a 4 ans, un nouveau label vinyle de tekno underground voyait le jour : Witchcraft Records. Orienté hardcore, hardtek et mental acid tribe, ce nouveau projet de Barouf « Enfants Sages » a la particularité d’être composé à 100 % d’artistes femmes.
Quand Barouf nous a contacté par mail l’an dernier, ce n’était pas pour faire la promo de sa dernière sortie vinyle. Plutôt pour nous communiquer un texte qu’il avait écrit au sujet des milieux de la tekno underground et de la free party. Se revendiquant clairement comme étant « alternatifs », ils n’échapperaient pas à certaines constructions sociales problématiques, reproduisant des mécanismes sur lesquels se fondent des inégalités sociales lourdes de conséquences. Les comportements homophobes et sexistes notamment, qui resteraient profondément ancrés dans les mentalités.
Nous nous sommes rendus dans le Tarn pour en discuter ensemble ! L’interview sera suivi d’un extrait du texte signé Witchcraft Records au sujet de la publication d’une BD, insérée dans son troisième vinyle.
| Par Polka B. / Dessins : Melle Pin
Interview : Hervé « Barouf » (Les Enfants Sages / Witchcraft Records)
Comment as-tu eu l’idée de monter un label exclusivement réservé aux femmes ?
Dans le milieu de la tekno freeparty, j’ai toujours été assez actif au niveau des productions. Ça fait 20 ans que je sors des disques, et je me sens presque redevable car j’ai fait une grande partie de mon éducation grâce à la techno.
J’ai envie de mettre toujours plus de convictions dans ce que je fais. En prenant du recul, j’ai réalisé qu’environ 1 % de mes sorties étaient réalisées par des femmes. L’idée de ce label en non-mixité choisie, c’est d’inciter les gens qu’on voit tout le temps à laisser la place aux autres. Or, l’idée passe très mal. J’ai vite réalisé que que le sexisme était encore extrêmement ancré dans le milieu de la free.
Le conçois-tu aussi comme un problème générationnel ?
J’ai commencé dans les années 90. Je fais partie de la « deuxième génération », qui a vu le milieu de la free party se dépolitiser au fur et à mesure des années. Au début des années 2000, les gens venaient surtout consommer quelque chose. Il y avait quelque chose de chouette à vivre, mais les idées politiques se sont dissoutes.
On est restés avec quelque chose de viril : des images de poussière, de muscles, de gros camion et d’odeur de gasoil. C’est un énorme paradoxe. Ce mouvement qui s’est construit autour de valeurs libertaires semble encore largement hermétique à la remise en cause. Comme dans la société, ce sont encore les gros mecs hétéros qui dominent.
En tant qu’homme, justement, n’est-ce pas contradictoire de gérer un label exclusivement réservé aux femmes ?
Les personnes qui produisent le son et les labels sont des hommes, à l’écrasante majorité. En tant qu’homme, je reconnais avoir été largement privilégié. C’est un fait. Je ne l’ai pas réalisé étant plus jeune, car je n’y avais même pas pensé !
Je ne voyais pas ce phénomène d’invisibilisation. C’est le nœud du problème. Je pars du principe que pour changer les choses, il faut partir de quelque part. Avec ce label, je propose un espace. J’essaie de construire des voies qui permettent de réinterroger nos pratiques.
T’attendais-tu à un tel levé de bouclier, de la part de mecs se croyant « menacés »?
Oui, car quand tu touches à une hégémonie, il y a forcément des crispations. Nous avons sorti une BD dessinée par Cassandre qui dénonçait un morceau de techno sexiste pour notre troisième vinyle. J’ai été choqué de la plupart des retours.
Beaucoup n’acceptent toujours pas que des choses ignobles doivent changer. Mais j’ai confiance. En ce moment la politique revient en force dans le milieu de la free et ça fait beaucoup de bien !
Artistes des sorties Witchcraft Records à découvrir :
Naya WK
KAN10
La Kajofol
Pix Elles
Grace et Volupte Van Van
Laura STZ
Trizia Moth
Milatek
Rozalind.
Témoignage de Witchcraft Records
– La B.D. Du label –
Pour la sortie du troisième vinyle de ce label fin 2020, on a eu l’idée de l’accompagner d’une bande dessinée s’inspirant d’une horrible chanson techno des années 90 dans laquelle l’auteur relate le viol qu’il a commis sur une mineure de quinze ans. (The Horrorist – One Night In New York City)
Ce texte nauséabond a matraqué à plusieurs générations de raveur.euse.s que ce comportement était la norme dans le milieu de la nuit.
L’idée de la bande dessinée était donc de reprendre mots pour mots le texte original de la chanson (traduit de l’états-unien) et de n’en changer que la fin. Comme pour annoncer que nous n’accepterions plus, ni ces comportements, ni sa légitimation, ni son esthétisation. Les sales dégueulasses qui procurent de la drogue à des (jeunes) femmes pour les violer : on en veut plus ! Ni dans nos fêtes, ni nul part ailleurs !
Lorsque cette bande dessinée est sortie, j’en ai parlé sur internet et ai expliqué son contenu.
En quelques minutes, une véritable horde de mecs aux alentour de la quarantaine se sont rameutés les uns les autres pour se lier contre ce projet et s’insurger. Il faut dire que le morceau dénoncé par la bande dessinée est un véritable tube mondial qui a fait de son compositeur une vraie vedette internationale de la scène tekno. Cette chanson est passée des dizaines de milliers de fois à travers tous types de soirées depuis 1996 ; jouée à 45 tr.min ou à 33 tr.min, dans des lieux les plus undergrounds comme dans les lieux les plus mainstreams.
Dégoûté par l’unanimité des critiques agressives et fatigué par les querelles stériles sur internet, j’ai supprimé le message original et les commentaires qui l’accompagnaient. Je n’ai pas eu la présence d’esprit de garder une copie de tout ça, mais en substance : « ON » ne pouvait plus rien dire, il fallait garder de la distance et ne pas prendre tout au pied de la lettre, seul.e.s les imbéciles ne comprennent pas que c’est du second degré, bla bla bla, bla bla bla….
En fait, le succès te met à l’abri des critiques. On ne touche pas aux idoles ! Si tu dénonces la chanson « fou d’amour » qui légitimiste les féminicides, tous les fans de Johnny Hallyday vont te tomber dessus ; et bien là, c’est pareil : ce type, c’est le Johnny de tous ces ravers trop vieux pour remettre quoi que ce soit en question. Toucher à leur idole c’est remettre leur monde en question. Sauf qu’ils faut qu’ils comprennent que leur monde merdique on en veut plus !
Et on est en train de le changer, avec ou sans leur approbation : leur chouineries n’y changeront rien. Il n’y a pas que dans la tekno que l’on ne touche pas aux vedettes, le terme à la mode pour justifier l’injustifiable c’est la recontextualisation.
Ce mot magique (qui a son intérêt par ailleurs) permet de continuer à idolâtrer les vedettes de sa jeunesse, comme si les contenus créatifs étaient nécessairement générationnels. Le vieux connard, qui méprise les nouvelles cultures et s’attache à son passé, est bien obligé de parler de « recontextualisation » lorsqu’il veut écouter son vieux rock’n’roll sexiste. C’est toujours plus simple que de s’intéresser à ce qui se fait de nouveau.
C’est une hypocrite qui s’applique plus facilement à la musique qu’au reste, ainsi, il acceptable d’écouter « Under My Thumb » des Rolling Stones, alors qu’il est mal venu d’écouter un sketch raciste de Michel Leeb.