Depuis la teuf du nouvel an à Lieuron (sud de Rennes) le 31 décembre dernier, c’est désormais officiel. Les organisateurs de free sont maintenant considérés comme des criminels de la pire espèce. Qu’on se le dise : faire danser des gens peut vous coûter 10 ans de prison ! L’heure est grave mais les organisateurs se serrent les coudes et s’organisent. C’est le cas du Sound System TEK’niciens basé dans le sud de la France. Particulièrement présent dans les manifs, le collectif le revendique avec force : ses actes sont aussi festifs que réfléchis, revendicatifs et éminemment politiques.| Propos recueillis par Polka B. / Photos : TKNC
Pouvez-vous présenter votre sound system ? Depuis quand existez-vous ?
TKNC existe depuis deux ans et demi mais nous sommes avant tout de vieux potes qui se connaissent depuis longtemps. On se spécialise dans la musique électronique et à travers nos soirées, nous sommes aussi compositeurs, décorateurs, électriciens, videurs, barmans, on fait de la bière… de la prévention des risques aussi ! Notre objectif est de montrer que même à des milliers de personnes, on peut très bien s’organiser, vivre, et créer sans aide de l’État. On peut très bien partager des moments forts dans un esprit bienveillant en totale autogestion. Pour nous, cela passe aussi par des applications concrètes comme la politique du prix libre. Nous avons encore beaucoup d’idées à développer mais cela demande du temps ! En ce moment on monte une asso culturelle qui va s’appeler Art’Borescent.
Comment avez-vous réagi face à « l’affaire » de Leurion ? Cela vous a t’il encouragé à vous positionner dans une optique plus politique ?
Bien avant cette affaire, on était déjà choqués des lois liberticides qui entraient en vigueur. C’est comme si les restrictions sanitaires justifiaient absolument tout et n’importe quoi. Ça nous a poussé à aller manifester en centre-ville. Le confinement n’a profité à personne. C’est la misère généralisée !
Pour en revenir à Leurion, la peine encourue par l’organisateur était scandaleuse. Ils voulaient faire un exemple. Ça nous a mis en rage ! À la première manif’, nous avions brandi le slogan « 10 ans pour une soirée, 4 ans pour un viol ». C’est choquant mais c’était vraiment la réalité de cette semaine, où une autre affaire pour agression sexuelle était jugée simultanément. Ce parallèle est à l’image de tout le reste. La gestion juridique et médiatique de la pandémie a été catastrophique. Et on ne parle même pas de la loi sécurité globale… N’empêche, l’histoire de Leurion a ressoudé tout le monde. À l’appel du collectif Maskarade, de nombreuses orgas de soutien aux inculpés ont vu le jour un peu partout en France.
Comment faire face aux risques de poursuites judiciaires ? Cette répression policière particulièrement intense ne vous fait pas peur ?
Nous sommes dans les clous de la loi car toutes les manifestations sont déclarées. Le droit de manifester est un droit constitutionnel, épidémie ou pas ! On ne peut pas y toucher. De plus, nous avons le soutien du collectif Stop Loi Sécurité Globale et d’une avocate du barreau de Montpellier, Sophie Mazas. Elle connaît très bien la loi et fait aussi partie de la Ligue des Droits de l’Homme.
C’était super de rencontrer tous ces militants qui ne font pas partie de notre milieu à la base. Quand on a fait connaissance avec eux, certains ont mis de côté leurs stéréotypes vis à vis du mouvement free party.
Ils ont bien vu que nous n’avions rien à voir avec l’image dépeinte par les médias (pour faire court, une bande de drogués qui veut juste taper du pied). C’était essentiel de créer tous ces liens avant notre toute première manifestation du 16 janvier 2021.
Ce jour où la police a saisi votre sono !
Exactement ! Les autorités ne savaient pas trop comment faire face à cette manif, alors elles nous ont mis un coup de pression en confisquant notre matériel. Le préfet a fait un décret à la va-vite en disant qu’il « interdisait les rave party en centre-ville». Seulement, nous avons vite prouvé qu’il ne s’agissait pas d’une fête sauvage mais bien d’une manifestation ! Au passage, il y avait à peu près 2000 personnes et aucun débordement à déplorer. Rien ne justifiait la saisie du matos. C’était en sortie de manif’ quand tout le monde commençait à se disperser… En plus, elle avait fini à l’heure ! Le truc gênant pour eux, c’est qu’ils nous ont tout pris sans nous donner de récépissé. Or, cette déclaration est obligatoire. Heureusement que Sophie nous a aidé ! Elle a passé beaucoup de temps au téléphone et nous avons pu tout récupérer la semaine suivante. La police fait usage de la force en nous intimidant pour arriver à ses fins. La plupart du temps, on n’ose pas réagir, alors que nous avons des droits !
Quand nous avons repris la sono la veille de la manifestation suivante, la police nous a dit : « à demain » ! (Rires)
Vous n’avez plus eu de problème en manif depuis ?
Non ! Même si il y a de gros moments de tension parfois… C’est surtout la police qui la crée ! Du genre, des CRS armés se mettent en ligne à soixante, comme ça. Cela fait monter la température gratuitement. Cela génère automatiquement une haine et une violence qui n’existe pas à la base… Les gros articles de la presse valent le détour aussi. On a eu « 2000 teufeurs sans masques, en plein trip sur l’Esplanade ». Du grand n’importe quoi. Inutile de te dire que l’immense majorité des gens avaient bien gardés leur masque… Et c’est nous qui en donnions à ceux qui n’en avaient pas !
Comment avez-vous lié votre savoir-faire au format des manifestations en centre-ville ?
Ça ne change pas grand-chose ! On est mobiles mais il y a toujours de la sono, de la déco, des gens qui gèrent la logistique… Le grand plus, c’est de s’allier avec des gens qui maîtrisent ce discours militant. On a beaucoup appris. Certains d’entre nous apprécient même davantage le format manif que les teuf classiques. On est encore plus dans l’engagement. C’est plus ouvert, plus poignant, plus concret aussi.
Que répondez-vous à ceux qui vous considèrent (au mieux) comme des irresponsables, et (au pire) comme des assassins ?
Qu’il existe des organisateurs responsables et irresponsables, comme dans n’importe quel milieu. Il faut arrêter avec le deux poids deux mesures. Il y a moins de risques à aller dans un petit calage à 20 personnes que de se tenir sur un quai de tramway blindé de monde à l’heure de pointe. Nous sommes totalement contre la mort d’à peu près tout ce qui existe ! Il faut faire la part des choses. Pour être clairs : nous sommes personnellement contre la tenue d’une teuf de 2500 personnes en pleine épidémie, mais nous respectons ce choix de l’organiser si cela est bien fait avec de la prévention et de la sensibilisation au sujet du virus. Le Covid tue mais la solitude et l’isolement peut également tuer.
Aujourd’hui (sans parler de la crise sanitaire), il est devenu de plus en plus difficile de faire la fête librement dans les centre-villes. Comment envisagez-vous l’avenir du mouvement teuf ?
Il va falloir se protéger juridiquement. Bien plus qu’avant. Le plus important, c’est de se battre pour ne pas perde de vue l’essence du mouvement free party. Les sound system ne sont pas morts depuis l’ère Covid… Les soirées continuent. Sous un autre format bien sûr, mais elles continuent. L’avenir du mouvement pourrait aussi se développer par le biais des manifestations. Avant, c’était un peu une exception. La free prend une ampleur plus politique car tout le monde est touché. Paradoxalement, ce qui se passe en ce moment est très intéressant.
Pour continuer (et finir) sur une note positive : quel est votre meilleur souvenir de teuf ?
Notre première soirée à la Soucoupe ! C’est un ancien musée de l’Agriculture sur Montpellier qui a fermé en 2010 car l’État et les collectivités territoriales ne voulait plus le financer (l’Agropolis Museum, ouvert en 1994, NDLR). C’était assez dingue. Une pirate party de 2000 à 3000 personnes avec les Fréquences Libres. Tout était carré, bien géré. On ne garde que de belles images de ce moment-là… Ce genre de soirée qui fait chaud au cœur !
Merci à vous pour l’interview !
Merci à toi !
Si vous souhaitez en apprendre plus sur le TKNC et les récents événements à Montpellier, on vous recommande l’excellent documentaire Zéro Décibel, réalisé par Farfacid & Carlito.rec !