Skalpel & Dj Monark – Radioactif (2021)

Skalpel & Dj Monark – Radioactif (2021)

Il y a des plats « classiques » qu’on fait mijoter avec l’assurance tranquille de ne jamais être déçu. Pour le coup, Skalpel et Dj Monark sortent des fourneaux un disque labellisé « rap français nineties » portant tous les attributs du genre. On se régale en fin connaisseurs, ayant nous aussi grandi dans la même cuisine. | Par Polka B.

Ce qui est bien avec cette pochette volontiers paranoïaque, c’est qu’elle ne ment pas sur la marchandise.

Dès les premières notes de la piste 1 « Radioactif », les dés sont déjà jetés : cet album post-année-covid sera bel et bien sombre, dark et pluvieux

Pour décor sonore, une atmosphère hip-hop menaçante et typiquement new-yorkaise à la Infamous Mobb.


Un constat encore plus flagrant sur le beat du morceau « Army of Gaïa », rappelant immanquablement des ambiances à la Special Edition, et Blood Thicker Than Water, Volume 1.

Sur le beat de (l’excellent) “Si j’étais une bête”, on se croirait cette fois propulsé à l’époque de Group Home, époque “Livin’Proof”. Vous me direz: quel rapport avec le rap français ? Et bien pour un rappeur de la génération de Skalpel ayant officié depuis milieu des années 90, difficile de ne pas relier son ADN artistique à celui de l’esthétique du rap de Queensbridge.

Baignés dans cette sauce, les kickeurs de l’hexagone ont allègrement pioché dans les références de la côte Est pour façonner un son « rap français » typique de la période.

Beatmaker experimenté, Dj Monark sait certainement que Skalpel n’est jamais aussi à son aise que sur ce type d’instrus. Résultat, les planètes s’alignent à la perfection et il ne nous reste plus qu’à kiffer ! Le climax de l’album est atteint sur le morceau « Parcours s’colère », l’exemple-même du morceau rétrospectif réussi. Là encore, un modèle du genre tamponné nineties  : piano mélancolique certifié classique, scratches de samples bien placés au refrain (Fayçal, Scred Connexion, Casey…) et rimes ciselées A.O.C ! 

Dans ce storytelling maîtrisé, le rappeur d’Aulnay retrace son évolution et les étapes marquantes de son adolescence, de l‘école primaire au collège Victor Hugo jusqu’à l’obtention du Bac S, des anecdotes les plus intimes à une vision d’ensemble plus large dessinant l’évidence d’un déterminisme social implacable.

Mais comme dans tous ses précédents albums, le rappeur ne dépense pas un gramme d’énergie dans la complainte : grandir dans une cité en banlieue parisienne, être fils d’immigrés, et avoir connu la galère ne sauraient constituer une quelconque source d’apitoiement.

« Soixante nationalités dans ma tess’, c’est pas la France
C’est mieux c’est le monde, c’est ma putain d’enfance »

Parcours s’colère

Fier, le timbre de la voix ne trompe pas. Ce rap est bien de ceux qui sont scandés la tête haute. 

Si ce flashback constitue un moment fort du disque, il ne saurait éclipser le plat principal : à savoir les états d’âme d’un Skalpel cru 2021, assumant sa vie de daron bien loin des embouteillages du périphérique et de la voie RER B.

Eloigné de l’agitation de la ville, le rappeur reste aux aguets des actualités d’un monde à la dérive (« Inadapté »), toujours pas dupe face au simulacre du bon-vivre capitaliste (« Brûler la ville », « La loi du marché »), sous un mode de vie prolétaire où les coups de blues sont légion (« à chaque jour suffit sa peine »). Heureusement, pour tenir : « [il] prépare un nouveau skeudi ». C’est tout l’objet de l’album.

« C’est soirée teuf, les gens veulent s’amuser. J’regarde mon catalogue, rien à proposer
Que du glauque, du sale radicalisé
Trop politique pour eux, j’vais les vandaliser »

J’dois faire un titre

Sous un nuage radioactif, Skalpel épouse des mélodies (« pour ça pas besoin de contrat ») et gratte du papier en exprimant sa rage, autant par amour du rap que par haine du bourgeois.

Au fil des écoutes, on apprécie un album taillé comme un gant pour l’intéressé, bien loin du jeunisme forcené d’un artiste cherchant à capter les tendances pour rester dans le coup.

Un disque Radioactif à l’artisanat maîtrisé qui veillira aussi bien que celui qui l’a sculpté. Et si le secret, c’était simplement de rester soi-même ?

« Finalement, y’a rien d’exceptionnel
Comme Ghost Dog, je m’engouffre dans le tunnel
Avec un scalpel ou un sabre aiguisé
j’trace les contours de mes courbes balisées »

Finalement