De la grisaille messine au rose fade des briques Toulousaines, le parcours de Rok fut semé de doutes et d’embûches. Représentant d’un rap moderne, d’une mélopée de tristesse autotunée et d’un spleen tout en reverb, à l’image d’une boite de nuit où tout y est sauf la fête… Rok vient de sortir DYS, son premier projet long format, 8 titres de rap certifié 100% doomer, le tout enveloppé dans une production new wave impeccable. Entre l’ire et le cafard, découvrons ensemble le parcours et les aspirations de Rok qui à défaut de ne plus pouvoir sacquer demain déballera tout aujourd’hui.
| Propos recueillis par Nino Futur | Photos : Lou Persico & Murphy Bout.
Yo Rok, dis-nous tout, cela fait combien de temps que tu rappes maintenant ?
J’ai commencé il y a environ 4 ans. J’avais déjà fait de la musique par le passé. Ado j’étais dans une école de musique, j’ai même eu un groupe à cette époque, puis j’ai tout lâché.
J’ai repris la musique par le biais militant, des ateliers rap à la ZAD de Bure qui m’ont saucé à m’y remettre, parce que j’ai compris que c’était le meilleur moyen de dire des choses.
Il y avait le côté pratique des ateliers d’écriture qui te permettaient de t’exprimer sur des choses, et le côté matériel mis à dispo pour t’y mettre vraiment.
Comment les choses se sont concrétisées par la suite ?
Le premier son qui est sorti sur internet, je l’avais pas écrit dans l’optique qu’il soit diffusé, j’étais anciennement connecté au crew Coutoentrelesdents (Cf Karton n°6) par convergence d’idées, ils m’avaient proposé de sortir le son. Puis suite à ça les choses sont venues petit-à-petit, les concerts en duo avec Dudu…
Mon premier son c’était un boom bap, bien évidemment (rires). Mais il y avait déjà les bases de mon évolution, déjà sous autotune avec une thématique autour de la santé psy. C’est la rencontre avec Dudu qui produit en grande partie mes sons, qui m’a mis une vraie déter. On avait une vision plutôt similaire sur la façon dont on voulait faire les choses carré, avec une vibe rap FR actuelle et pop.
Faudrait d’ailleurs arrêter avec cette gêne de « c’est trop produit, c’est trop pop… ça sonne pas DIY », ça fait réac ! Sans tirer dans le tas j’ai des potes qui le pensent vraiment, c’est un peu encore la pensée dominante dans ce milieu.
Je veux pas tomber dans ce truc libéral à la « quand on le veut on le peut », c’est surtout que matériellement on a aussi un socle que pleins de potes ne peuvent pas avoir.
Juste on a envie de mettre les gens bien, et de prêter une attention particulière à la forme, en terme de style comme en terme de prod, pour que le fond soit plus accessible et touchent plus facilement d’autres personnes.
Qu’est ce qui t’inspires le plus en terme de rap dernièrement ?
On va dire que j’ai des influences mais pas de modèle, j’aime beaucoup Théodora, Asinine et Tif dernièrement. Sinon je dirais que c’est surtout mes potes qui m’inspirent : Puzzmama, Speka , Cizif… Théa, Bromaz, qui sont plus dans un délire pop.
Tout ce qu’on appelle la « new wave » j’ai bien poncé : Suijin, Rounhaa, La Feve, je pense que ça se capte au travers de mon album que j’ai écouté ça.
Gamin j’écoutais Skyrock en scred chez moi parce que mes parents aimaient pas, j’avais l’impression d’être un bandit (rires) c’est vraiment une musique qui m’a accompagné, même si j’ai loupé une certaine période, je me suis repris en main (rires).
Parlons un peu de ton premier album sorti il y a peu, un bon condensé de rap à la fois doux et noyé dans le spleen, qu’est ce qui t’as poussé à appeler l’album DYS ?
C’était pas forcément pour les troubles « dys » même si on y pense direct.
C’était plus pour l’idée globale de dysfonctionnement, l’idée du suffixe en lui-même qui laisse comprendre que ça fonctionne mal.
Je pensais à la dysphorie également. Ça parle de moi, de mes dysfonctionnements et du monde qui dysfonctionne, quelque chose de plus large.
Tu étais sur cet album depuis quelques temps, ou tu as globalement tout écrit dans un laps assez court ?
Deux/trois sons ont traîné un peu mais les six autres ont été fait dans une période de trois mois.
Pour mon rythme de travail c’est assez rapproché. Une période où je n’allais pas bien et qui m’a permis d’être productif.
En effet on voit que ton album est sur une autre teinte musicale, plus dépressif et moins ambiancé que les singles que tu as pu sortir avant…
Je voulais faire un truc plus rap que d’habitude. J’avais besoin de prouver je crois… Je m’en étais trop pris plein la gueule vis-à-vis du fait que j’utilisais trop d’autotune, que je rappais pas vraiment… Le côté chant, autotune, pop ; je voulais faire plus du rap à proprement parler. Il y a même un morceau sans autotune. Ça a été beaucoup de travail condensé pour un truc qui sort vite. Mais c’est vrai que c’est pas mal de sombre sur du sombre.
Tu as eu des retours globaux sur l’album ? Des gens t’ont déjà parlé de tes textes ouvertement ?
Beaucoup sur « Souillure » qui parle de VSS.
Surtout des personnes issues des minorités de genre qui m’ont dit que ça leur avait parlé.
Ça répondait à un besoin de soigner des trucs. C’est toujours bizarre pour moi de le faire, je me laisse toujours la possibilité de le skipper en live.
Je l’ai écris dans une volonté de donner de la force aux gens, mais je sais que ça peut aussi mettre des gens mal, tu sais que quand tu performes le son en concert dans le lot de personnes qui te regardent certain.e.s ont fait des dingueries.
J’ai choisi de poser sur une prod qui a une vibe RNB de lover, c’est un son qui parle de viol conjugal entre autre, je trouvais que cela faisait sens cette ambivalence.
Mais en live ca donne un truc un peu chelou… mais je ne regrette pas ce choix. Je suis quand même content qu’il existe et d’avoir abordé ce sujet comme ça de manière perso mais dans un gros mood bashback, c’est un peu le morceau de l’album.
Je voulais également te parler du morceau « Craving » si tu pouvais m’éclairer un peu sur le texte ?
Alors j’écris pas souvent sur un thème, ça part souvent dans tous les sens, mais ça parle surtout de conso, de dépendance et de mon passif avec la drogue. D’essayer de se gérer…
Le fait de répéter les mêmes conneries, que la drogue semble toujours venir t’aider. J’ai tendance à me mettre dans le mal tout seul pour écrire. Je suis un doomer de base mais je n’arrive pas à écrire de vraies choses si je me sens parfaitement bien, j’ai tendance à galérer à parler de truc joyeux sans être niais et à me trouver con… mais ça pose aussi la question de romantiser des trucs dangereux ou douloureux…
Il faut quand même faire attention à ce que tu proposes et comment tu le présente : rendre sexy ce qui te détruit etc…
Après, c’est des questions que je me pose pour à peu près tous les sujets sur lesquels j’écris. J’ai l’impression d’être plutôt honnête dans ce que je partage, et je suis pas sur que ça vende du rêve quoi.
C’est aussi à ça que le côté pop m’a servi : emmener un peu de joie dans mes textes pour pas faire complètement doomer les gens.
Les problèmes de tox, j’ai pas l’impression que c’est un sujet ultra abordé dans le rap fr, surtout si on parle de came. J’ai été junkie pendant un moment, c’était hyper véner ce que je me prenais dans la gueule, j’ai envie de mettre ça en avant, de donner des représentation sans que les gens prennent pitié ou se disent que c’est stylé. Faut doser quoi… (Rires).
Et à côté de ça tu as un son comme « Quoi de neuf les voyous », 141k de vues en un an, super festif sur l’air du générique de scooby doo, un petit hit du rap DIY. Est-ce que ce morceau t’as globalement ouvert un public ?
Alors oui, évidemment. Je sais pas encore si c’est souhaité ou souhaitable mais il faut prendre ce qu’il y a à prendre. Ça a été une folie. Le son on l’a pas réfléchi on savait même pas quoi vraiment en faire, on l’a sorti comme ça sur ma chaîne sans trop se poser de questions.
Ce son symbolise surtout notre première vraie collaboration avec Théa et le début tangible de notre amitié. On a pas peur de ce genre de morceau, si il faut animer la kermesse du zbeul on l’animera !
Surtout ce qui est notable, c’est que dès que je fais un feat le son prends une couleur plus joyeuse. Quand je suis solo chez moi j’ai tendance à broyer du dark alors qu’à plusieurs sur un son tu te sens épaulé.
C’est cool de pouvoir proposer de quoi contrebalancer le glauque. Beaucoup de gens d’ailleurs n’écoutent que ce son et ne savent pas ce que je fais à côté.
Tu vois comment l’avenir pour ton projet ?
J’ai pu voir mes limites dernièrement. Avec mes problèmes de santé cela va être compliqué d’aller au-delà de ce que j’ai pu donner pour cet album. Heureusement qu’il y a eu Dudu qui s’est encore donné dessus ! Je sais que ce sera dur pour moi de passer une vitesse.
Je dis ça mais en même temps je fais déjà plus que ce que j’aurais pensé pouvoir faire.
Je sais aussi que si je veux produire plus il faudra payer plus de gens avec qui bosser ce qui n’est pas dans mes moyens. Sinon j’aimerais bien m’essayer à des scènes plus grosses, on a eu quelques propositions, à voir… (Rok jouera à la Bifurk de Grenoble et au Rack’am de Bretigny s/Orge avec Théa cet automne).