PIERRE FERRERO
On a découvert Pierre Ferrero sur les murs de plusieurs squats, un peu partout en France. Via des affiches coups de poing. D’un dessin clair, coloré, direct, figuratif, et franchement ancré dans le combat anti-réacs, anti-autoritaire et antifasciste. On ne pouvait qu’aimer !
Un petit détour par le festival BD Colomiers, et nous avions ce même Pierre Ferrero, en face de nous, en chair et en os ! Il présentait son dernier livre Cauchemar, un petit bijou de « post-anticipation » dans une France bien laide, émanée de relents Zemmouristes. Le présent en somme. Ses prochains projets exploreront un futur beaucoup plus lointain. Merci à lui pour la couv’, un superbe avant-goût de ces lendemains qui chantent…
| Par Polka B.
Comment as-tu commencé l’illustration ?
Quelles étaient tes sources d’inspiration étant enfant ?
J’ai toujours dessiné. La plupart des enfants dessinent, et souvent c’est au tournant de l’adolescence que l’on s’arrête. Moi j’ai jamais arrêté.
Mon père avait une grosse collection de bande dessinée, sa mère et sa tante ont été secrétaire ou dactylo chez Dargaud et du coup il a toujours eu beaucoup de BD. Donc très petit j’en lisais. Tous les trucs très classiques (Asterix, Lucky Luke, Tintin…)
Plus tard vers 9 ans je dirais, j’ai découvert Dragon Ball, ça a été une petite claque. De manière générale, j’aimais bien les trucs un peu heroic fantasy, ou avec des squelettes, des monstres…
Tu as intégré une école de dessin. Comment as-tu vécu cette expérience ?
Après le lycée j’avais pas trop d’idée de ce que je voulais faire. Lors d’un salon des métiers à Lyon quand j’étais en terminale, je me suis baladé dans ce truc immense, et il y avait des stands d’école d’art et je me suis dis que ça me semblait être une bonne idée.
J’ai intégré une école qui proposait une formation très classique centrée sur la pratique du dessin, de la technique, de l’apprentissage de la couleur. Tu pouvais par exemple avoir 16 heures de cours de dessin d’observation, au fusain, sur un papier de 50×70 cm. Et tu dois reproduire à la perfection ce que tu observes.
Ce qui m’a attiré c’était vraiment ce truc d’apprendre, de pouvoir avoir suffisamment de technique pour pouvoir dessiner tout ce qui me passait par la tête.
Je suis très critique sur la politique de cette école cependant, une école privée, très autoritaire. Et ce qui m’a fait tenir c’est la rencontre d’autres gens avec qui nous avons créé le collectif Arbitraire. Je ne regrette pas cet apprentissage, il y avait de supers profs, mais le délire hyper compétitif… très peu pour moi.
Tu as effectivement cofondé le collectif Arbitraire à Lyon en 2005. Tu peux nous en parler ? Quelle était votre vision de la BD ?
Au début des études, j’ai rencontré Renaud Thomas (auteur, éditeur, sérigraphe). Je portais un t-shirt des Ramones un jour et il est venu me voir en me disant « super les Ramones » et je me suis dit, ah ! Quelqu’un qui connaît et écoute du punk, Chouette ! De là on est devenus amis, et on a commencé à former tout un petit groupe qui partageait les même goûts en termes de lecture, musique et autres, et qui étions en décalage avec l’esprit de l’école.
On était dans l’entraide là où l’école poussait à l’individualisme et la compétition. On se retrouvait le soir pour boire des coups, regarder des films underground, s’échanger des BD, faire de la BD, aller voir des concerts, notamment au Grrrnd Zero. On était influencé par l’underground américain des années 70, le punk de cette époque, l’idée de liberté et d’anticonformisme. On lisait et on voulait faire de la BD alternative, provocante. Très vite on a rassemblé nos petites BD dans un fanzine. Photocopies noir et blanc, agrafes et c’était parti. Bon quand je relis les trucs que j’ai fait à cet âge-là (19 balais)… j’en suis pas très fier. Mais cette rencontre a été décisive je pense, on a tous appris les uns des autres, on a tous travaillé notre curiosité.
Comment en-es tu venu à la sérigraphie ? Est-ce pour toi un univers artistique à part, ou le vois-tu dans prolongement de tes productions ?
Encore une fois c’est Renaud d’Arbitraire, qui a toujours eu une énorme curiosité et une grande culture, qui m’a fait découvrir la sérigraphie. Arbitraire c’était vraiment ça, faut imaginer que c’est pas l’école qui nous a amené au fanzine ou nous a fait découvrir différentes méthodes d’impression.
Et donc Renaud connaissait le travail du Dernier Cri, (éditeur sérigraphe à Marseille) et ça a été une claque graphique quand j’ai découvert tout ça. Il y avait quelque chose de très punk dans le fond et la forme. Renaud a fait son stage d’étude là bas, il en est revenu avec la technique, et nous a donc introduit à cette méthode d’impression.
Il a rejoint Black Screen, petit atelier de sérigraphie autogéré qui se trouve dans le local de la Luttine à Lyon. Plus tard, il m’a permis de rejoindre cet atelier. A cette époque-là, c’était vraiment dans le prolongement de ma pratique. J’avais un groupe de garage punk et on sérigraphiait les pochettes de disques, les t-shirts, on faisait des affiches… Je continue à en faire mais de manière plus sporadique.
On se souvient de tes livres Vers de nouveaux paradigmes galactiques (avec Isaac Neutron) et La Danse des Morts, parus tous deux chez Les Requins Marteaux. Et on se dit que tu as beaucoup changé de style de dessin ! Comme si tu avais épuré ton trait et tes compositions… Qu’en penses-tu ?
Il y a eu un moment où je me suis dirigé vers la déconstruction de ce que m’avait enseigné l’école, de sortir du figuratif pour me diriger vers de l’abstrait, notamment après la découverte de l’art brut (grâce à Renaud encore une fois!). Je voulais travailler la forme de mon trait, ma pratique.
Mais j’en suis un peu revenu, pour plusieurs raisons. J’ai eu une petite période creuse vers 2018, qui a duré 2 ans. Je ne lisais plus rien en BD. Je ne dessinais plus grand chose. Et je me suis dit que j’avais peu de culture en terme de bande dessinée japonaise. J’ai donc remédié à cela en lisant beaucoup de manga classique. Cela m’a remotivé. Mon trait a été grandement influencé par ces découvertes.
Mon trait continuera d’évoluer tout au long de ma pratique. Ce n’est pas quelque chose de figé.
Avec Cauchemar , tu signes là un livre très engagé. Beaucoup plus politique, et clairement ancré dans l’actualité avec une dénonciation globale de la montée d’une extrême droite décomplexée en France, y compris jusqu’au sommet de l’État.
Comment est-né ce projet ?
Alors c’est marrant parce que lors d’une rencontre, (avec mon éditeur Matthias et mon pote/post-facier June Misserey) quelqu’un a souligné ce que tu dis et une autre personne lui a répondu que le volet politique était déjà présent dans mes autres livres.
Ce qui change je pense, c’est l’aspect beaucoup plus frontal. J’ai toujours eu une « conscience politique ». Me concernant, elle est née à l’époque du G8 à Gènes. Je me rappelle que la mort de Carlo Giuliani m’avait beaucoup marqué. J’avais 15 ans, et ensuite lors des manifs contre Le Pen en 2002 avec des potes on y est allé fond. Cela m’a forgé. Mais ça s’est un peu enfoui avec le temps.
En 2013, quand Clément Méric se fait tuer par un nazi, puis un an après quand Rémi Fraisse est tué par l’Etat, cela a réveillé quelque chose. Cela s’est amplifié lors de mon court passage dans la ville de Paris (j’y ai habité 3 ans). Loi travail, camps de réfugiés/migrants, l’affaire Théo… Je me suis beaucoup « engagé » à ce moment là.
Ensuite, je suis allé à Briançon (ville d’où je suis originaire) et c’est devenu le théâtre de la chasse à l’homme. Il y a eu beaucoup d’actions.
Et quand j’ai quitté Paris pour aller en Corrèze, je pense que tout ce que j’avais bouffé en termes de violence, de compréhension politique, a fini de macérer… et je l’ai vomi. Cauchemar, au début, j’imaginais une BD de 60 pages. Et elle en fait 400. J’avais vraiment besoin de sortir des choses je pense !
Pourquoi avoir eu envie d’ancrer ton travail dans un traitement beaucoup plus politisé ?
Il y avait une envie de défouloir. D’assumer aussi ce que je pensais, ce que je faisais, ce que je voulais. Cauchemar c’est de la « post-anticipation ». J’essaye d’imaginer un futur tellement proche que les éléments dystopiques imaginés dans le livre sont très vite dépassés.
Pour le récit sur lequel je vais bientôt taffer, je veux continuer à travailler cette dimension politique mais dans un univers futur. Un univers beaucoup plus lointain proche de la SF. J’ai aussi commencé à imaginer un récit qui s’ancrerait dans un temps médiéval mais avec une critique du religieux et de l’autoritaire. Je proposerai aussi un regard sur l’antisémitisme à cette époque et de ses poussées, notamment lors d’épidémies de peste.
Dans le livre, tu intègres des éléments de fiction (comme la résurrection du cadavre du Maréchal Pétain), pour mieux parler du présent, ancrer ton scénario dans le réel et en critiquer les dérives . Comment as-tu élaboré cette idée qui rend ton ouvrage si particulier ?
C’est vraiment parti du slogan « Pétain reviens t’as oublié tes chiens ».
J’ai imaginé ce truc un peu débile du slogan mantra qui fait réellement revenir Pétain. Et en revenant, il se dit « Hé ! En fait je suis dans mes petits souliers là ». Bon, entre le moment où j’ai imaginé tout ça (fin 2018) et maintenant, toutes sortes de personnes peu fréquentables ont tenté de le réhabiliter.
Vois-tu l’humour comme une arme pour faire passer des messages de façon plus efficace ?
Je sais pas. C’est une question qui est souvent revenue lors des rencontres. On m’a demandé si mon crayon était une arme.
Ma réponse c’est qu’une arme, c’est une arme. Et que mon crayon ou l’humour, peuvent servir de médium ou de vecteur à des idées, ou des sensations, mais j’ai peu de prises sur la réception des lecteurices. Ma volonté primaire n’est pas de faire passer un message, plutôt de me décharger de quelque chose.
À titre personnel, vois-tu Cauchemar comme un ouvrage « militant »? Que représente ce terme pour toi ?
Alors non. Je voulais surtout pas faire ça avec Cauchemar. C’est surtout une histoire. En plus, je me méfie de ce mot « militant ». Je pense que cela m’a attiré à un moment, et quand j’ai été aux cotés de « vrais » militant.e.s, cela m’a un peu refroidi. Ça doit sûrement venir de ce que ce mot porte dans son étymologie.
Le livre a été édité par L’Employé du moi en 2023. On se dit que la portée de l’ouvrage a dépassé la diffusion (parfois confidentielle) du fanzine, pour toucher beaucoup plus de personnes au profils différents.
As-tu eu des retours négatifs ? Des réactions violentes ou inattendues ?
Non, pas de réaction négatives ou violentes. (pas encore)
Quels sont tes projets pour la suite ?
Là je travaille sur une BD avec un scénariste et un éditeur, c’est un mix entre un taf de commande et mon taf d’auteur.
Mais dès que j’aurai terminé, je me remettrai à mon travail d’auteur, et comme je disais précédemment, je vais bosser sur un récit de SF, post-effondrement, pour mettre en écho utopie/dystopie.
Cela s’appellera Ruines.
Quels sont tes « rêves » ou tes objectifs en tant que dessinateur ?
J’ai pas beaucoup d’ambition à part pouvoir continuer à dessiner, et voir mon trait évoluer.
Tu peux nous laisser avec 3 titres musicaux ?
Alors, j’ai eu un gros blocage lecture BD à une époque. En ce moment j’ai un blocage musique. J’écoute plus trop de son… Je reviens vers les divers trucs que j’écoutais avant. Je peux te laisser des titres que j’ai écouté ces derniers temps, en bouclant Cauchemar :
Casey – Le fusil dans l’étui
Oi Boys – Déjà Reine
Idles – Mother