Depuis le mois d’août 2019, les décisions du gouvernement grec ne font qu’illustrer une dérive autoritaire des plus actuelles. Désormais, les instances décisionnaires au sommet des États ne se cachent plus. Ils déploient une violence inouïe, destinée à combattre tout acte de résistance. Cet article délivre un « instantané » d’une situation bien réelle. Il ne s’appuie pas sur des émotions, mais sur des faits.
Le néo-libéralisme et sa gestion policière montre maintenant son vrai visage : celui du fascisme ! L’exemple des dernières évacuations en date dans le quartier d’Exarchia est plus qu’emblématique… | Par Alkistis A. (Dessins: Mademoiselle Pin)
Exarchia est l’un des quartiers les plus vivants du centre d’Athènes. Un lieu chargé d’histoire pouvant incarner une forme de résistance et de refuge pour les gens non-conventionnels. Il y a pleins de squats, d’espaces autogérés, de lieux qui valident la présence d’ un mouvement puissant. Une occupation représente à la fois un déni de propriété et un sentiment de communauté. Les squats en Grèce sont devenus des vraies maisons, de famille, de chaleur pour les gens qui en avaient besoin. Ils sont devenus des lieux d’implantation d’espoirs et de luttes contre le système établi.
Pourtant, le gouvernement néolibéral d’extrême droite issu des élections du 7 juillet n’avait dès le début qu’un seul objectif : « nettoyer » le quartier d’ Exarchia de tous ces « déchets » qui le contaminent. À l’aube du 26 août 2019, de puissantes forces répressives ont procédé à une opération d’évacuation de quatre squats dans le quartier d’ Exarchia, ont arrêté trois squatters et ont enlevé 143 réfugiés et migrants. Jusqu’au mois de décembre 2019, ils ont poursuivi l’évacuation d’ une dizaine des squats, multipliant les menaces d’évacuation à Athènes, à Thessalonique, à Larissa, et en Crète.
En même temps, la guerre contre les réfugiés et les migrants qui arrivent quotidiennement ne fait que s’intensifier. Le gouvernement a élargi sa politique en expulsant les migrants des squats de manière permanente dans de véritables camps de concentration. L’ image d’ une dictature où la police domine en utilisant abusivement de son pouvoir n’est pas un fantasme. Elle s’installe de manière concrète au jour le jour dans les quartiers grecs.
Le mieux n’est-il pas de laisser la parole à ceux qui subissent concrètement cette violence ?
Extrait du témoignage de Kereem Domingo, réfugiée du Congo âgée de 16 ans, qui se trouvait dans le squat de Bouboulina 42 à Athènes.
« Je suis allée à la fenêtre. Ma mère était déjà là. J’ai vu beaucoup de flics armés et de journalistes. Ma mère m’a dit : « Police ! réveille les autres !« , puis j’ai de nouveau entendu un bruit fort à la porte. Ils la cassaient. J’avais très très peur. Je pensais que les flics nous frapperaient tous. Les familles sont venues sur le balcon et ont crié : « Solidarité avec les migrants ! ». En même temps, nous entendions les pas des policiers qui entraient dans la maison. Ils sont allés partout. Ils étaient partout. Il y en avait trop. Ils nous intimidaient tous avec leurs armes. Tout le monde était à terre, sauf une femme, très courageuse. Elle était avec sa fille. La femme a commencé à crier sur les policiers dans sa propre langue (lingala, Congo), que ce n’était pas juste, qu’il n’y avait que des enfants ici, pas des criminels ! Les autres femmes se sont levées avec leurs enfants en criant qu’ils avaient peur.
Je ne sais pas ce qui se passait aux autres étages. Après notre réaction, les flics étaient plus polis. Ils se sont excusés et ils nous ont dit de nous asseoir et de nous calmer. Nous sommes restés environ deux à trois heures comme ça. Nous avons demandé si nous pouvions aller aux toilettes. Ils ont refusé. Une petite fille est allée demander à un policier en grec : « Monsieur, s’il vous plaît, je veux aller aux toilettes ». Ensuite, nous avons tous commencé à faire une queue pour y aller. Les policiers surveillaient chacun de nos mouvements.
(…)
A Petrou Ralli, ils nous ont dit de rester dans une pièce. Nous pensions qu on serait accusées et expulsées (en Iran, en Afghanistan, ou au Congo). Nous y sommes restées cinq heures, puis nous avons montré nos papiers dans un autre bureau. Nous avions tous faim. Ils ont donné du jus et du lait aux enfants. Ils nous ont dit de boire l’eau des toilettes. Les Européens, eux, ont reçu des bouteilles d’eau neuves. Nous leur avons dit de nous laisser partir, que nous avions tous les papiers légaux et que nous étions libres de nous déplacer. Nous n’avions rien de toute façon, nous étions loin de tout. Ils ont persisté en disant : « C’est votre problème ». Les enfants ont commencé à pleurer et à avoir faim. J’ai parlé aux policiers pour qu’ils nourrissent au moins les bébés et ils ont dit que si nous voulions de la nourriture, nous devions entrer dans le camp. Nous avons encore refusé! Ils ont été polis pendant un petit moment, puis les menaces ont commencé. Les gens qui étaient à l’intérieur du camp nous disaient : « Résistez, ne venez pas ici ! ». Les familles préféraient ne pas nourrir leurs enfants et dormir dans le bus plutôt que d’aller là-bas. Certains avaient très faim mais tenaient bon. Cet endroit n’était qu’une prison. Nous devions rester unis, ne pas nous séparer.»
Pendant ce temps, c’était les occupants du squat Vancouver Apartman qui se faisaient évacuer. Voici leur mots :
« Le squat de Vancouver Apartman compte 15 ans de vie sans propriétaires. L’occupation du lieu a commencé en juin 2005 via un groupe de personnes qui souhaitaient simplement couvrir leurs besoins en logement. A l’automne 2014, il a entamé une série de discussions avec des compagnons et les squatters de Vancouver pour «ouvrir» le site à d’autre fins, en l’utilisant pour les besoins du milieu anarchiste. Jusqu’à aujourd’hui, il fonctionnait comme une occupation politique anarchiste / anti-autoritaire et squat de logement.C’était l’une des maisons du milieu anarchiste. Un site de référence pour les processus politiques, les événements culturels et la solidarité sociale. Un squat qui a donné de la solidarité à ceux qui en avaient besoin. Le soir du samedi 2 novembre 2019, l’évacuation du Vancouver Apartman a été déclenchée.
Dans l’instant, un élan de solidarité s’est animé. Sur place et devant les tribunaux. Rien ne serait laissé sans réponse. »
Contre toute attente, le gouvernement a donné une ordonnance générale de 15 jours de délais, pour que tous les squatteurs quittent les lieux.
Le squat athénien NOTARA 26 a donné sa réponse :
« De la part d’ Exarchia occupé, nous octroyons 15 jours pour abdiquer à tous ceux qui rêvent d’un renouveau de la dictature ainsi qu’à leurs mécanismes de propagande, et qui emploient pour parvenir à leurs fins tabassages, viols virtuels, déshabillages forcés de femmes, déni des droits légaux , intimidation et surveillance des camarades, travailleurs/euses et étudiant.e.s. Nous ne décrivons là qu’une poignée des tactiques de répression et d’attaque employées à l’endroit de ceux/celles qui luttent. Ce qu’ils appellent excellence et normalité, ce sont des frontières closes, des camps clos, des esprits clos ; les cheminées suivront.
Nous avons reçu une date limite de 15 jours. 15 jours ….
Notara existe depuis plus de 1500 jours. Y ont été hébergées plus de 9000 personnes, provenant de 15 pays différents. Des centaines de solidaires, arrivant du monde entier, ont participé à ce projet. Des milliers d’histoires différentes y ont vu le jour. Une lutte constante et commune, visant à la solidarité, à l’auto-organisation de nos vies, à l’accueil de la diversité et des singularités. Une lutte dans notre squat, dans notre quartier, dans la rue. Les idées ne peuvent pas être réprimées. Notara 26 est là, et restera vivant. Vous ne pouvez pas expulser un mouvement. Ni maintenant, ni jamais.
Logement d’occupation des réfugié.e.s et des immigrant.e.s NOTARA 26 Athènes, le 21 novembre 2019. »
En Crète , les squats (dont Rosa Nera) ont également répondu à ces menaces, en passant un message sur les ondes TV. Le studio de la « nouvelle télévision » a été occupé symboliquement, durant le journal télévisé principal, en solidarité avec les squatteurs. Pendant l’occupation, un message politique a été diffusé au sujet de cette fameuse mise en garde du « délai de 15 jours » prononcée par le ministère de la Protection du citoyen :
« Les exploiteurs de travail sont instamment priés d’augmenter les salaires de 200%, de réduire le temps de travail en conséquence ou de s’approprier collectivement leurs moyens de production en volant du travail humain. Ceux qui violent illégalement les conditions internationales de protection des réfugiés en tuant, en emprisonnant et même en enlevant des enfants pour les enfermer dans des centres de détention inhumains (sans accès à la santé et à l’éducation) sont également priés de démissionner immédiatement. Ceux qui expulsent des réfugiés sont instamment priés de se décharger de leurs responsabilités en matière de protection de la vie des réfugiés sur les mouvements de solidarité internationaux. Le délai d’exécution des commandes est de 15 jours à compter de la publication du présent communiqué de presse.
Sinon, cela ne va pas bien se passer… On le dit doucement.
Rendez-vous dans les rues.Squat ROSA NERA, Chania, Crète. »
Mais rien ne semble arrêter ces politiques répressives. Dans la même optique liberticide, la nouvelle administration fait rapidement aboutir le projet de loi sur l’ abolition de l’asile universitaire, afin d’empêcher toute velléité de résistance de la part du monde de l’éducation. Désormais, la police peut légalement entrer dans les facs et les écoles. Les effets sont quasiment instantanés. Le dimanche matin du 10 novembre, les forces de police envahissent l’ université d’économie d’Athènes afin d’évacuer le lieu autogeré d’ ASOEE.
Voici les mots du collectif :
« Le but ultime des souverains, à travers l’abolition de l’asile universitaire, est de désarmer, d’ancrer et de retirer le mouvement étudiant afin de lancer leurs attaques contre nos acquisitions et nos intérêts dans les meilleures conditions et associations possibles. Ils cherchent à créer une université stérilisée par toute trace de fermentation politique, de frictions et de débats entre étudiants. Une université où le syndicalisme des étudiants et toute tentative d’organisation de la résistance collective ainsi que toute tentative de contestation des projets d’État et d’immobilisations serait entièrement supervisée et criminalisée. Le projet de loi visant à abolir complètement l’asile prévoit régulièrement un contrôle du visage aux entrées des universités et la liberté des flics d’entrer dans les écoles à tout moment.»
Tout au long du mois de novembre, en se reposant sur la psychose du terrorisme, les violences policières n’ont fait que s’intensifier. La violence, les arrestations, les agressions sexistes et homophobes sont plus que jamais au rendez-vous. Maintenant une pression constante à Exarchia, les flics connaissent les habitants par leur prénom. L’impunité est de mise.
Il n y a ni de lignes ni de mots suffisants pour décrire la déception et la rage ressentie en Grèce.
La coupe est plus que pleine.
Extrait du témoignage de Lampros Goulas, membre de l’organisation Rouvikonas récemment torturé à Exarchia:
« Tout le chemin des rues Tsamadou et Tositsa, j’ai été frappé. Nous nous sommes rendus à la rue de Bouboulina. Juste avant d’arriver au ministère de la culture, j’ai entendu l’un d’ entre- eux dire: « N’allez pas au ministère, il y a des caméras. Mettez-le plutôt là-bas». Ils m’ont mis dans un coin et je ne sais même pas comment ils m’ont frappé. J’ai perdu le compte. Un des policiers était fou. Ma tête était coincée dans le mur et j’essayais de la protéger. Il m’avait ordonné de me déshabiller. Ils se sont jetés sur moi. Je me suis battu pour garder mes sous-vêtements. Ils me jetaient sur le mur en criant « au mur ». Ils ont commencé à fouiller mes affaires. Ils ne trouvaient rien dans mon sac ou dans mes vêtements. Ils ont trouvé mon portefeuille.. Ils trouvent mon argent et ils commencent à jeter mon argent. Ils se moquaient de moi et me frappaient encore. Après un passage à tabac de cinq minutes, le policier m’a attrapé et pendu au mur. Puis quelque chose de terrible est arrivé. Il a abaissé mes sous-vêtements, s’est collé derrière moi et a crié : «C’est comme ça qu’on baise, nous « les verts » (référence à la couleur des uniformes des CRS). Dans Exarchia, il y la dictature, t’ as compris? Quiconque n’acceptera pas le gifle et la bite n’entrera pas dans Exarchia. Nous commandons. » »
Point culminant de cette tension : le 17 novembre, lors de la commémoration du soulèvement contre la dictature des colonels. Dans un climat de pression extrême, les flics entrent dans des appartements et des terrasses d’Exarchia pour capturer ceux qui se trouvent là-bas. Plusieurs jeunes placés en garde à vue ont été humiliés, se sont fait crachés dessus, frappés et filmés par les forces de l’ordre, sans avoir le droit de communiquer avec leurs familles ou leur avocat. Quand des personnes se sont réunies devant le commissariat pour réagir face à cette injustice, la police les a attaqués eux aussi.
A la fin du mois de novembre, et au début du mois de décembre 2019, de nouvelles actions et manifestations continuent d’être menées contre les violences policières, contre les évacuations de squats et l’ abolition de l asile dans plusieurs villes de Grèce.
Rien n’ est fini. Les idées ne peuvent pas être expulsées ni nettoyées.
Le mouvement est toujours-là. Il est fort.