Trônant sur leur océan de béton, elles ont dirigé, pendant 48 ans, la direction du navire. | Par Momo Tus
Les Vele di Scampia. Terminus du métro. Il pleut à Scampia. Les gouttes dégoulinent le long des murs grisâtres et fissurés des 35 étages et s’écrasent, lentement, sur les passerelles de béton. Le crissement des pneus des scooters sur le goudron des grandes allées. Les cris des guetteurs sur le toit d’en face. Le froissement des billets. Le bruit des mixers qui fonctionnent à plein régime. Les rires d’enfants. Le linge qu’on secoue au balcon. On suit une passerelle, qui nous mène dans les entrailles du navire. Vitres brisées, portes cassées, poubelles entassées. Quelques seringues ici et là, appartiennent aux âmes perdues qui errent, en quête du shoot de la rédemption.
C’est sombre. C’est hostile. C’est le décor ordinaire des habitants des Vele. De la série Gomorra, de Gennaro Savastano et de Ciro, inspiré du livre de Roberto Saviano. Ce décor, il nourrit aussi tout un imaginaire urbain des plus sombres dans le paysage rap hexagonal, de SCH, à Sadek, Sofiane ou encore PNL: « J’suis plus Savastano que Ciro« .
Mais surtout, c’est le décor d’une véritable guerre des clans de la Camorra qui a transformé cette grisaille urbaine en rouge sang en 2003. 16 ans après ? Les caïds de la mafia, ils sont toujours là. Parfois, des enfants, qui n’en sont déjà plus. Des visages marqués, des yeux blessés. Ce sont les visages d’une autre Naples qui a failli, d’une périphérie à l’abandon.
© Momo Tus
Les Vele di Scampia. C’est l’histoire d’une Arche de Noé italienne des temps modernes, qui vogue sur une mer de sang, de seringues, et de béton.
Elles étaient 7 grandes voiles prêtent à accueillir la bourgeoisie en mal de verdure sur les terrains agricoles du Nord de Naples. Des parcs, des commerces, des écoles, c’était la recette de l’architecte Franz Di Salvo.
Seulement voilà. En 1983, un tremblement de terre fait plus de 3 000 morts et 280 000 réfugiés. Le système s’enraye. Il faut parquer. Empiler une population pourtant réticente et déboussolée. Une folie urbaine et mécanique des grandeurs. L’Arche de Noé, encore en construction, accueillera plus de 65 000 naufragés dans ses méandres de béton. Plus de 23% de logements. Finis les espaces communs. Bonjour le tout béton.
Résultat ? Une grande ruche. Sans lumière. Amiantée comme il faut. Des galeries qui s’entrecroisent et se décroisent. Des dédales aux multiples recoins. Seuls ceux qui connaissent savent se repérer. L’endroit parfait pour le clan Di Lauro. Utilisant la misère pour tout détruire, et offrir “son” avenir: en quelques années, le Veles deviennent le bastion de la mafia napolitaine.
Les politiques se disent alors: “Une réalité qui ne nous laisse guère le choix que de tout détruire”. Trois Vele sont détruites entre 1997 et 2013. Ironie du sort, à l’image de la résilience de ses habitants, une des Vele résistera avec une telle malignité que les 284 charges de dynamite n’ont quasiment rien pu faire. Trois autres suivront en 2018.
© Momo Tus
Faut-il seulement détruire pour se reconstruire humainement ?
On pourrait croire que, la Camorra affaiblie, les Vele Di Scampia pouvaient petit à petit sortir de la tempête. Mais les destins de toute une génération ont été marqués par la violence (Baby Gangs), le trafic et le chômage.
On pourrait croire que, le succès de Gomorra, permettant 4000 emplois, aura permis de rêver d’un autre futur. En réalité, elle n’a fait que renforcer l’image sanglante du quartier. Et laisser les jeunes enfermés dans cet idéalisation d’un destin à la Gennaro.
Comment peut-on, mettre en scène la misère, et la faire interpréter par ceux qui la vivent ?
On les a traités de criminels. D’oisifs. On les a piétinés. On les a affamés. On les a marginalisés. Mais les habitants ont combattu, pour montrer que derrière ces murs de béton, ils ont sû préserver un bouillon de résilience. De patience. D’acceptance.
© Momo Tus
Depuis 2007, l’association Mammut, d’habitants du quartier, occupe régulièrement la place principale pour protester contre la Camorra. Une solidarité a su perdurer et co-exister pour créer des alternatives locales face aux pouvoirs publics inexistants.
Quel avenir pour les naufragés des Vele Di Scampia ? La destruction de la dernière tour, et le déplacement des habitants en Avril 2019, a tenté d’être récupérée politiquement par le premier Ministre italien, Matteo Salvini. Mais cette destruction n’a pas lieu d’être un spectacle. C’est le résultat d’un combat de plus d’une quarantaine d’années d’une communauté soudée, qui s’est toujours battue contre ceux, politiques et mafieux, qui nourrissent la guerre entre les pauvres.
Mais comment reconstruire une vie ailleurs quand des destins sont brisés ? Une génération entière qui est née et qui a grandi dans la violence ? Ce sont les morts qui ont attiré tous les médias et politiques. Mais tous ces jeunes, à qui on a enlevé tout espoir d’une vie meilleure. Quel destin ? Quel projet de vie ? Et ça, personne ne pose la question.