Photo de couverture: ©Nouracmt
Notre dernière claque du moment se nomme Lylice ! Originaire de Seine-Saint-Denis, la rappeuse vient de sortir Farouche, EP 5 titres d’une qualité impressionnante pour un premier projet ! Sans plus attendre, on lui pose toutes les questions qu’on a en tête à la vue du clip de « Terminus ». | Par Polka B. / Trad: Chris P.
Comment as-tu commencé le rap ?
Lylice : Je suis arrivée au rap vers 16 ans. Je suis de Montreuil à la base et j’ai habité Marseille pendant quelques temps. J’étais entourée de potes qui rappaient. Si tu n’en faisais pas avec eux tu t’ennuyais assez vite ! On sortait nos couplets en sortant de soirée dans la rue ou chez des potes… C’était vraiment instinctif, un peu enfantin même. J’ai découvert le studio beaucoup plus tard. C’est à partir de là que j’ai essayé de bosser quelque chose de plus abouti.
En regardant ton premier clip « 28ème jour » (sorti en 2017), on s’est dit que tu avais énormément progressé tant au niveau des textes, du flow que de l’esthétique. Comment as-tu bossé pendant ces 4 ans ?
« 28ème jour » c’était clairement ma période marseillaise ! Je le vois comme l’enclenchement de la machine. J’avais dropé ce clip assez rapidement car c’est essentiel d’avoir quelque chose à montrer, surtout au début. J’ai commencé à vouloir sortir quelque chose de plus concret il y a un peu plus d’un an. J’ai commencé par bosser à nouveau l’écriture. C’est assez logique vu que le rap à texte me touchait particulièrement quand j’étais ado (Sinik, Diam’s…). Je me suis mise à écouter des trucs beaucoup plus politisés en prenant de l’âge (Casey, Anfalsh…). C’est cette école qui m’a motivé à écrire. Ces derniers temps je me suis ouverte à des styles de rap plus actuels. Ça va de la drill UK à Josman, en passant par Little Simz.
Au sein du rap dit « politisé », il n’y avait pas beaucoup d’artistes qui osaient chanter à l’époque. Aujourd’hui, on a l’impression que cette période est révolue avec des mélodies présentes dans à peu près toutes les esthétiques du rap français. Qu’en penses-tu ?
C’est clair ! Ça fait grave plaisir d’ailleurs. Personnellement, j’ai commencé à rapper avant de militer. Du coup, je n’ai jamais forcé mon rap à aller dans ce sens. J’essaie de le faire le plus naturellement possible. C’est important de se lâcher, de s’éclater au niveau musical. Après, il ne faut pas oublier le propos. Il peut y avoir un risque à trop esthétiser un propos politique… Tout est dans le dosage.
C’est pour cela que je te parlais de ton évolution. Il y a 4 ans, on sentait que tu ne te lâchais pas totalement. Rien à voir avec ton dernier morceau « Terminus » où l’on te sent très à l’aise avec un son qui correspond aux canons du rap du moment… Je pense aussi à la prod de ton morceau « Poz » chargé d’influences drill UK. Qu’est-ce qui a provoqué ce déclic chez toi ?
Déjà ça fait plaisir à entendre car j’ai toujours voulu allier les deux ! Ce n’est pas parce que je fais du « rap conscient » (entre gros guillemets) que je suis obligée de rapper sur des instrus boom-bap à l’ancienne ! Au début j’étais partagée car j’écoutais pleins d’artistes actuels, mais à mon niveau, j’avais peur de perdre quelque chose au niveau des paroles.
Le délire de « 28ème jour », c’était de balancer un gros egotrip comme si j’étais un mec. Je me suis rendue compte que c’était vraiment compliqué de faire ça en France. Les Cardi B lâchent des trucs hyper directs, mais c’est dans le contexte des States…
Chez nous, ça choque tout le monde. Je veux quand même continuer à faire des trucs énervés.
Avec le temps, j’ai découvert que je pouvais le faire sur des instrus qui me plaisent et en rappant comme je veux.
Comment s’est passée la collaboration avec KØHM (un des beatmakers du projet, NDLR). T’a t’il encouragé à prendre cette direction ?
Il m’a beaucoup apporté au niveau musical. C’est un Montreuillois qui a bossé dans le collectif Exopoq (Tengo John, Big Budha Cheez…). Il a des méthodes de travail très carrées et on a rapidement entretenu un rapport de confiance. Ça m’a beaucoup aidé d’évoluer dans ce cadre-là car il a monté son propre studio. Il a fait trois prods sur l’EP, il s’occupe aussi du mix et du mastering. Je suis très reconnaissante de ce qu’il a pu faire sur Farouche. À la base, je ne kiffe pas trop bosser en studio. J’avais certains blocages… Je n’osais ni chanter, ni crier. Avec lui, j’étais à l’aise. On était à fond dans le taf et je ne me sentais pas jugée.
Pourquoi avoir appelé cet EP « Farouche » ? Tu avais déjà une idée précise de la direction du projet quand tu as commencé à enregistrer ?
Je le vois comme une présentation de ce que je peux faire, un peu comme une carte de visite. « Farouche » ça me va bien, en particulier dans le rap.
Je ne suis pas quelqu’un d’avenante de façon évidente. Je suis très méfiante. En même temps, ce n’est pas de la timidité pure. Je peux kicker sans problème devant des gens et si quelqu’un me taille dans la vie, je peux aussi bien sortir les griffes !
Dans « Cardio », tu dis : « je vais te niquer avec amour ». Vois-tu cette phrase comme un condensé de ce que tu sais faire au micro ?
De ouf. Je trouve qu’il y a des messages qui passent mieux quand tu les chantes ou que tu souris en les disant.
On retrouve un peu cet état d’esprit dans le clip de « Terminus ». Il peut y avoir un côté menaçant, et en même temps on sent que l’ambiance est bon délire.
Au début, ma pote ‘La Baquela’ voulait faire un clip dans un délire de sorcellerie. Le contexte était particulier car on était en plein couvre-feu. On avait envie de tout niquer, d’être juste entre meufs. Le morceau est sombre de base avec des paroles assez deep. On a voulu insister sur le contraste. Montrer qu’on pouvait raconter des choses tristes tout en dansant avec des fleurs sur la tête ! Au départ, ma pote voulait une seule meuf qui déglingue tout dans la rue. Je nous voyais plus en équipe, alors c’est ce qu’on a fait. On a géré les costumes nous-mêmes pour marquer l’idée d’un rite de passage, un truc un peu sectaire où des meufs s’organiseraient entre-elles. Le tournage était vraiment kiffant. D’autant que Paris est très déprimant en ce moment. Il ne se passe vraiment rien…
Avant le Covid, on a pu voir ton nom sur certaines affiches de concert avec des rappeuses comme Esthr et Amnez. Peut-on parler d’une nouvelle scène rap féminine ces dernières années sur Paris ?
C’est vrai qu’en 2019 il s’est passé un truc. On a été beaucoup invitées à des concerts ou à des émissions radio spéciales meufs.
Avec du recul, même si je ne m’en rendais pas compte sur le moment, j’ai développé un espèce de « réseau » avec essentiellement des rappeuses.
C’est à la fois cool et problématique car bien souvent, ces initiatives sont organisées et animées par des mecs.
Je me souviens d’un concert qui avait bien marché. J’avais recroisé le gars qui avait géré l’événement et il m’avait dit tout content :
« c’est bien, c’est la soirée qui a le plus marché
parmi toutes celles qu’on a organisé. Je pense qu’on va le refaire ».
Dans sa façon de présenter les choses, j’ai senti qu’il l’avait fait dans un délire vachement opportuniste. Je ne pense pas qu’il soutenait quoi que ce soit, si ce n’est le succès de ses propres soirées. Et en même temps, c’est vrai que les rappeuses toujours sous-représentées. Alors si on s’entraide entre nous, c’est tant mieux. L’autre truc avec lequel j’ai du mal, c’est l’appellation « rap féminin ». Comme si c’était un genre à part entière alors que les meufs font toutes sortes de rap : du cloud rap, de la trap, de la drill, du boom-bap… Au même titre que les mecs !
Quels sont tes projets pour la suite ?
Déjà, je suis super contente d’avoir quelque chose à montrer aux gens ! J’ai encore plein d’étapes à franchir. Cet EP m’a donné faim. J’ai envie d’explorer et de faire des morceaux. Je ne me sens pas encore prête pour un vrai album. Je me vois plutôt enregistrer des featuring pour continuer à évoluer tout en m’amusant un peu !
Tu nous laisses avec deux morceaux que tu aimes particulièrement ?
Dur ! Pour le rap anglais, je dirais « Frontline » de Pa Salieu ! Pour un morceau en français, j’ai envie de dire Shay car je la kiffe de ouf. Ecoutez « Oh oui » !