Les Chevals Hongrois – Rimbaud / Lunatic (2017)
Le dormeur du 92i
Quand on a découvert cette pochette sur la table de merch des Chevals Hongrois, on s’est tous dit la même chose… « Les cons ! Ils l’ont fait ! ». Mais comment oser marier l’univers crasseux de Booba et d’Ali à des poèmes d’Arthur Rimbaud écrits au XIXe siècle ? Toucher à de tels monuments à priori si éloignés, sans dénaturer l’un ou l’autre ? Les Chevals Hongrois n’en ont pas grand-chose à secouer. Du reste, il n’y avait qu’eux pour le faire aussi bien. | Par Polka B.
Textes : Arthur Rimbaud Instrus : Lunatic Rap : Chevals Hongrois
Branleurs assumés, losers magnifiques revendiqués, ou je-m’en-foutistes éclairés. Appelez-les comme vous voulez : Les Chevals Hongrois font les choses sérieusement.
Le genre de mecs prêts à se rouler par terre sur scène après avoir annoncé au public une démo de breakdance entre deux morceaux. Comme souvent, tout est question de dosage. Manquer une coupole est une chose, « bien la manquer » en est une autre. Loin de moquer la culture hip-hop, le groupe de Grenoble joue avec ses codes et s’en amuse pour mieux revendiquer sa priorité absolue : ne pas se prendre au sérieux. C’est aussi l’objet du premier morceau du projet Rimbaud/Lunatic. Les fanatiques de rap français ressentiront ce même frisson à l’écoute des premières notes de l’intro de Mauvais Oeil. Classique parmi les classiques, chef d’œuvre intemporel du début des années 2000. Par réflexe, on s’apprêterait presque à réciter le premier couplet d’Ali… avant cette première phase au fort accent grenoblois « 92i gros ! …. Arthur Rimbaud…. Deux, triple zéro !». Grisés par leur profanation, Les Chevals Hongrois dénaturent une pièce de musée à priori « intouchable » le sourire en coin, avant d’entonner les premiers vers de Sensation d’Arthur Rimbaud :
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme. (back : « …comme avec ta go! »)
Claire, nette et concise, cette intro rassurera les plus sceptiques. En plus d’être drôles, Les Chevals Hongrois connaissent leur sujet et savent rapper. Loin d’être des clowns, les grenoblois parviennent à adapter un flow rap à des textes du siècle dernier d’abord destinés à être lus.
Sur la seconde piste « Groupe Parisien », ils lient la prod de « Groupe Sanguin » aux textes de « l’Orgie Parisienne » (1871).
Sur « Strass de 7 ans », ils empruntent la prod de « Strass et Paillettes » du premier album solo de Booba en rappant les vers des « Poètes de 7 ans » (1871).
Vous avez compris le concept… on vous laisse le soin de découvrir le reste du projet !
À titre personnel, notre morceau favori restera « L’éclair de l’ombre ». Enfants du rap, et issus de la génération ayant mangé Mauvais Oeil de plein fouet, ce croisement des univers nous aura fait redécouvrir Rimbaud dans une atmosphère sonore inédite. On dit merci l’équipe !
Dans un registre plus fouillé et travaillé, nous recommandons Les Soliloques du Pauvre, le récent projet du rouennais Vîrus ayant remis au goût du jour les textes de l’auteur libertaire Jehan-Rictus en les passant sous le spectre du rap !