LE RACCOON KAI POPULAR BOXING CLUB.
“L’engourdissement hivernal permet au raton de conserver son énergie sous forme de réserves de graisse en période de disette. Il s’agit d’une période d’inactivité plutôt que d’hibernation”.
L’horloge tourne et me voici perdue dans les méandres de la vie du raton laveur. Captivée, un étrange hasard s’affichant sur mon téléphone me rappelle à la réalité humaine: “Hello Momo, une partie du club va à la manif’ pour la Palestine. Tu veux toujours venir ?”.
Je souris: le raton n’est pas si inactif que ça en période hivernale.
C’est avec cet aperçu engagé du pedigree du Raccoon que je m’engouffre dans une petite ruelle parisienne cabossée.
Le décor est posé: des murs usés par le temps et de la ferraille s’accumulant entre les tôles d’une vieille remise.
Le Raccoon Kai Popular Boxing Club ne déroge pas à l’habitat de son homologue animal: sédentaires depuis trois ans, après un début dans le jardin familial, les Raccoons élisent domicile dans les dépendances, terriers et diverses cavités disponibles.
LE·LA RACCOON EST POPULAIRE ET ENGAGÉ·E.
C’est dans une petite salle aux quelques carreaux laissant filtrer la lumière que les affaires s’accumulent: des sacs à dos aux sacs à mains, des tatanes aux chaussons à froufrous: chaque personne est accueillie – inclusivement et le sourire aux lèvres – dans sa singularité.
Le·la Raccoon enfile alors sa fourrure de protection: les mains s’affairent dans la rotation des bandages et les pieds s’engouffrent dans les protèges-tibia.
Alors que la ronde des binômes débute, une pluie de lambeaux caoutchouteux se dissémine au fil des kicks: “J’crois que mon protège-tibia se désintègre” lance en rigolant un Raccoon.
“Le club est accessible à toutes et à tous, les entraînements sont gratuits et les protections prêtées.” explique Bat, un des fondateurs. Le Raccoon s’inscrit dans un engagement populaire de classe: depuis peu, le qualificatif “Antifacist” a d’ailleurs laissé place à “Popular”.
Un constat qui fait suite à une gentrification parisienne de la boxe:
“Des clubs demandent plus de 700 balles l’année” lance Red, un des encadrants. Or le·la raton·e a la particularité de s’adapter à la vie sauvage même après avoir été apprivoisé·e. “Des clubs de cadres” renchérit Bat.
Ou l’apprivoisement par les cols blancs d’un sport populaire, des tarifs prohibitifs aux clubs aseptisés.
Alors que des gouttelettes de douleur longent l’arête du nez pour l’ultime planche, Red entame la chansonnette: “Si t’aimes pas les flics, tape dans tes mains”. Les plus vaillant·e·s parviendront à faire léviter leurs corps pour ce désamour collectif. Si des bras et des mollets à nu dévoilent des 1871 et autres marques corporelles explicites, les liens militants ne constituent pas le liant du club: “On ne forme pas des chasseurs de fachos” précise Bat.
C’est avant tout un engagement pour des valeurs humanistes et une résistance à toute forme d’oppression qui font socle, en témoignent des actions annexes de soutien comme des collectes solidaires de fonds. “Se préparer aux temps qui viennent. Pas que dans la bagarre mais aussi idéologiquement” lancera un Raccoon lors du tour de parole de fin d’entraînement. Un autre confiera “Je ne suis pas politisé de base, mais faut se battre pour l’avenir de nos enfants”.
LE·LA RACCOON PREND SOIN DE SOI – ET DES AUTRES.
Le·la raton·e, de son air espiègle, est un animal très futé: son homologue humain l’est tout autant, prônant l’intelligence du combat par l’autodéfense. “On n’est pas là pour la bagarre” souligne Bat.
“Nous voulons juste que toute personne puisse se sentir capable de se défendre et avoir le minimum face au premier coup”.
Il ne s’agit en aucun cas de donner des poings à la colère, mais à la présence d’esprit pour réagir avec lucidité.
Ce premier coup, certain·e·s l’ont connu entre ces quatre murs. D’autres en portent déjà les stigmates corporels. D’une simple initiation à un tremplin vers une licence, “Il y a tous les niveaux mais chacun·e·s’adapte à son·sa partenaire. La force se dose.” glisse Bat.
“J’ai pas compris pourquoi certain·e·s camarades tapaient fort” soulignera un·e Raccoon lors du tour de parole. L’espace est donc assez bienveillant pour que la parole soit libre et libérée, et permettre à chacun·e d’apprendre et de s’adapter.
“Souvent, les initié·e·s ont tendance à compenser le déficit technique par la force” m’expliquera Bat. Car si le·la raton·e a des griffes non rétractiles, il faut lui apprendre à bien les maîtriser.
Quel est le seuil tolérable de la violence des coups ? Faire mal autant que d’avoir mal n’est pas aisé. Les sourcils froncés laissent place régulièrement aux sourires inquiets. “Ça va, j’t’ai pas fait mal ?”. Ici, en douceur et dans la bonne humeur, on apprend à accepter l’usage de la violence, tout autant que la mise en jeu de son intégrité physique. Dans le flottement de ce ballet de pieds levés et de poings tendus, une oxymore me vient: douce violence. Un échange de coups cadré et discuté, faisant basculer le monopole étatique de la violence légitime à toute personne en droit de se défendre.
Il s’agit ici d’une ré-appropriation plus large des sports de combat dans leur fonction défensive. Des sports souvent empreints – dans les deux extrêmes politiques – de virilisme et d’efficacité combative.
De par sa faculté de mise en mouvement du corps, le sport est un outil politique. Les sociologues D.Fassin et D.Memmi parlent de “gouvernement du corps”: le corps, objet social, est un lieu d’expression du pouvoir mais aussi de son exercice: l’Etat exerce sur les corps; l’extrême droite en valorise sa force, la gauche lui oppose l’esprit. Il est donc un enjeu de nombreuses luttes sociales.
Plus que d’affubler le discours militant de poings, les Raccoons prônent le précepte de “savoir prendre soin de soi – et des autres”. C’est bien là l’outillage principal de la collectivité solidaire que devrait être notre société.
Encore faudrait-il apprendre à s’estimer.
Le sport – et le corps, dans la limite de ses capacités -, est un accélérateur puissant quand l’esprit peine à trouver l’équilibre entre fierté et humilité.
LE·LA RACCOON EST ORGANISÉ·E.
Pendant deux heures, le BPM du son de l’enceinte se synchronise avec celui du cœur. Les hanches roulent sur Aventura, les jambes se lèvent martialement sur les chœurs de l’Armée rouge, les esprits s’échauffent sur l’acidité de Rohff. “On n’envoie pas des low-kicks de gros porcs !” à “Il a de la force ton genou, vas-y ose !”, les encadrants réveillent les endormis et calment les agités. À quatre, ils se complètent dans leur manière d’encadrer, créant cet équilibre poussant à se dépasser – sans chercher l’ascendant sur l’autre. Du ton blagueur “Tu vas pas au potager pour ramasser une salade” au cri martial “GAINAGE !”, les vocalises des Raccoons fondateurs rejoignent celles de leurs congénères poilus et alternent grognements (danger), hurlements (fuite), et sifflements (rassemblement).
Du temps personnel, mais riche en transmission: “Voir les gens revenir, progresser, et pour certain·e·s, leur transmettre ce qui deviendra une véritable passion, ça n’a pas de prix” confie NG – autour d’une bière bien méritée. Car oui, le·la raton·e couve secrètement quelques packs au fond de la tanière pour les moments de déshydratation.
Le·la raton·e peut atteindre une densité exceptionnelle de 100 individus au kilomètre carré en milieu urbain. La tanière du Raccoon Boxing Club pouvant s’élargir à une trentaine de participant·e·s sur trois créneaux hebdomadaires, de la boxe au grappling, le nombre d’encadrants – au nombre total de douze – permet d’assurer une initiation pour chaque nouvel·le Raccoon.
S’écartant du binôme maître-élève, chacun·e peut s’inscrire dans une logique de transmission horizontale, des confirmé·e·s aux débutant·e·s, et vice versa. Ainsi, chacun·e est libre de s’investir dans le club plus amplement et d’exprimer son opinion. Un Discord a été créé pour échanger des informations, des lectures ou encore “geeker ensemble” glisse NG, un des fondateurs. Car oui, le·la raton·e aime aussi se la couler douce.
LE·LA RACCOON EST FEMINISTE.
Les Raccoons ont conscience qu’ils ont un dernier territoire à explorer: la non-mixité. “Seulement, la perle rare est à trouver pour entraîner.” glisse NG. Une section du Discord dédiée aux personnes sexisées et queer a été créée dans l’attente d’un créneau dédié.
“On espère qu’on t’a donné envie de revenir !” glisse Bat à la fin de l’entraînement. “J’crois que j’me sens un peu ridicule les poings tendus” confie-je, en pensant à l’image gesticulante de mes deux cotons tiges. Je réalise alors, en tant que petite ratonne, avoir intériorisé l’identité viriliste de la boxe.
Les sports de combat sont souvent considérés comme des espaces de consolidation de cette identité, l’usage de la violence ayant longtemps été le terrain de la domination masculine. Les premières femmes ayant investi le ring ont dû construire un rapport à la technique et à l’éthique de la boxe que l’on pourrait qualifier de “masculin” par une assimilation des normes sexuées corporelles et comportementales. À contrario de la boxe française, étiquetée comme plus “adaptée” aux femmes.
L’engagement en progression des personnes sexisées dans l’apprentissage des techniques pugilistiques amène à repenser la pratique, tout comme, on l’espère, la vision portée par le Raccoon Kai ou encore ses camarades en région parisienne Le Boxon et Un ring pour tout·e·s – parmi tant d’autres !
Si tu connais un vieux trou de marmotte ou égoût capable d’accueillir plus d’une trentaine de Raccoons avec un minimum d’équipements – bien que le·la raton·e fréquente volontiers les poubelles, le·la Raccoon apprécie un certain confort – ou si tu as le pedigree d’un.e Raccoon (sauf raton cisgenre) et que tu es prê.te à enseigner pour le créneau en non-mixité, envoie-leur un coup de griffes :
raccooonkaiboxingclub@protonmail.com
IG @raccoon_kai_boxing_club