Lors d’un récent passage en banlieue de Barcelone à l’Hospitalet de Llobregat, nous avons croisé l’équipe d’Ojalä Me Muera Records. Organisateur de concerts punk au sein du CSO L’Astilla, le label compte plusieurs activistes engagés dans la lutte contre la gentrification de leur ville. Auteurs d’un excellent fanzine dédié au phénomène (Bajo El Hormigón), plusieurs membres de l’équipage nous ont livré leur dégoût face à ce mirage de modernité largement partagé dans toute l’Europe. | Propos recueillis par Polka B. / Photos: Momo Tus
Pouvez-vous présenter votre activité au sein du CSO L’Astilla avec votre structure Ojalä Me Muera Records ?
Nous avons créé Ojalä Me Muera Records en 2006 pour soutenir et diffuser la musique de groupes de notre entourage. Au fil du temps, nous avons développé le label pour accompagner des groupes d’autres villes et pays. Ces dernières années, nous avons multiplié l’organisation de concerts et de festivals pour réunir le plus de distributeurs alternatifs possibles dans notre quartier. L’objectif, c’est d’entretenir notre réseau dans une idéologie D.I.Y. et anti-commerciale. Comme dans n’importe quel collectif punk, toute activité et relation créée s’inscrit dans un contexte politique. On veut le faire dans le cadre d’une amitié et d’un travail entre personnes égales. Avec le désir de se sentir libre de faire dans ce que nous aimons le plus.
Vous semblez très attachés à l’identité de votre ville, L’Hospitalet de Llobregat. En quelques mots, comment la décririez-vous ?
En nombre d’habitants, L’Hospitalet est la deuxième ville de Catalogne. C’est devenu une grande ville suite aux flux migratoires du siècle dernier. Dans les années 20, c’était les ouvriers qui venaient du sud pour construire le métro de Barcelone. Des années 60 à la fin des années 90, c’était tous ceux qui étaient à la recherche d’un emploi. À partir des années 2000, on a connu une migration plus internationale. Aujourd’hui, la ville a été complètement « modernisée ». Elle est passée du modèle industriel au modèle des services. Ils veulent nous vendre un modèle de ville «culturel», civique, moderne, «progressiste»… Mais on sait tous qui s’agit simplement d’un processus de gentrification pure et dure. Il existe bien une identité locale à l’Hospitalet, même si sur le plan pratique, elle est complètement liée à Barcelone.
Comment les barcelonais perçoivent L’Hospitalet?
Nous sommes devenus un quartier pour eux. Une agglomération de plus rattachée à la capitale, polluée et reconstruite à son unique profit. Barcelone est une ville qui ne peut désormais plus du tout se développer. Chaque espace fait l’objet d’une spéculation. Il n’y a plus de terrains à construire ou à agrandir. Du coup, ce sont les villes qui ont été abandonnées par le passé qui ont été réinvesties. Ils construisent à tout va en arguant que « c’est bon pour l’Hospitalet », sans tenir compte de l’opinion des citoyens qui y vivent.
Au sein du milieu alternatif, avez-vous plus de libertés et de possibilités qu’à Barcelone? Les autorités locales vous laissent-elles plus tranquilles?
Nous nous sentons très seuls à l’Hospitalet. Ces dernières années, des centres sociaux ont été squattés, mais nos relations n’ont pas toujours été très bonnes pour des raisons idéologiques ou pratiques. Nous avions très bien travaillé avec La Pua, mais le lieu a été expulsé il y a deux ans. En terme de répression, nous sommes bien plus exposés qu’avant. La police fait beaucoup de descentes sans raisons. Mais en même temps, leur emprise sur le quartier n’est pas aussi grande que dans le centre de Barcelone. Ils se sentent un peu déboussolés quand les gens réagissent. Ils ont beaucoup moins de repères.
Pouvez-vous nous raconter l’histoire du CSO L’Astilla ? Qu’est ce que l’activité du lieu vous a apporté personnellement?
Les ateliers d’artistes ont été grandement améliorés, Il en existe actuellement plus d’une dizaine, occupés par autant de collectifs. Il y a eu aussi de nombreux concerts et événements majeurs. Ils ont joué un rôle primordial dans la réalisation de nos projets, en faisant office d’outils économiques contre la répression.
En clair : l’espace s’est politisé. Au niveau humain, cela nous a soudé. Cet endroit est devenu un axe vital où nous avons noué de solides relations d’amitié. Nous apprenons, nous formons… et on couvre aussi certains besoins vitaux, comme les loisirs !
Cela fait maintenant 10 ans que nous occupons le lieu. L’histoire part d’un groupe de jeunes qui a participé de différentes manières au développement du dernier centre social occupé de l’Hospitalet : l’Opéra. Quand il a été expulsé en 2007, nous sommes devenus orphelins d’un espace où nous pouvions nous réunir.Nous avons donc décidé de squatter un nouvel espace sans objectif très précis. Notre vision a beaucoup évolué au cours de ces 10 années. Les membres ont beaucoup changé. À l’Astilla, l’espace est très vaste. Cela nous a souvent compliqué la tâche, notamment lorsque nous étions peu nombreux.
Avez-vous des anecdotes marquantes ou des souvenirs forts lors de concerts sur place?
Il y a tellement d’anecdotes… Chaque événement que nous avons vécu ici fait partie de nous. Ces sont des souvenirs impérissables. Grâce à cela nous avons vu de nombreux groupes et rencontré des gens merveilleux. En tant que collectif, nous demandons aux groupes de faire concrètement partie du projet pendant l’événement. Cela nous aide à créer un espace où nous nous sentons tous à l’aise et où nous pouvons nous amuser au maximum.
Quel est l’avenir du squat CSO L’Astilla? Le lieu est-il mis en danger par des projets immobiliers ?
Il y a plus d’un an et demi, nous avons appris que notre zone (comme toutes celles qui l’entourent) était affectée par un plan d’urbanisme. Nous ne connaissons toujours pas les délais car rien n’est clair, Impossible de savoir si c’est une question de mois ou d’années. Le plan qui nous concerne n’est que l’un des nombreux phénomènes qui se multiplient dans toute la ville. La bulle immobilière et la fièvre du ciment sont revenues plus fortes que jamais. Comme d’habitude, toutes ces spéculations immobilières sont déguisées en rêves de modernité.
Comment résister, et faire entendre la voix des habitants de L’Hospitalet?
Sans prétendre représenter la voix des gens de notre ville, notre seul objectif est de faire campagne pour continuer à adopter notre attitude dans les rues. De manière sincère et non-filtrée. On veut juste se sentir à l’aise avec ce que nous faisons et disons.
Quel est votre avis sur l’avenir du mouvement squat et des projets ayant rapport à la musique alternative à Barcelone?
Nous sommes très préoccupés par la position de négociation que certains collectifs adoptent avec les institutions. Nous pensons qu’il est essentiel de maintenir notre autonomie vis-à-vis des autorités de l’État espagnol, afin de les empêcher de reproduire le modèle de légalisation de squats connu par la plupart des pays européens.
Quels bons endroits conseilleriez-vous à nos lecteurs?
L’Hospitalet de Llobregat!! Hahahahhah