IDN’TAALIN INTERSECTIONAL FEMINIST FESTIVAL

IDN’TAALIN INTERSECTIONAL FEMINIST FESTIVAL

From Tamzgha , North Africa

Totalement unique et inédit au Maghreb, le Idn’Taalin Intersectional Feminist Festival est le premier événement local principalement mené par une équipe de femmes et de queers. Après un article consacré au Hardzazat Festival (voir Karton n°3), nous retournons au Maroc à la rencontre d’un collectif impressionnant, ouvrant un chemin non-exploré jusqu’alors. | Propos recueillis par Polka B. 

Comment est née l’idée de votre festival ? Quels sont ses objectifs ?

Après l’évolution de la section féministe queer durant les trois dernières années au sein du festival Hardzazat Hardcore Fest , nous avons décidé de créer un festival autonome. L’idée est de reprendre tous les principes conceptualisés par la section Hardzazat, d’autonomiser la section par rapport au collectif principal, de créer un festival autonome et délocalisé de Ouarzazate. IDN’TAALIN est aussi né pour pallier au manque d’espaces non mixtes, et pour contribuer à la création d’un réseautage entre les artistes femmes et queers au Maroc.

Le festival a pour but de renforcer cette présence dans le champ culturel, promouvoir la scène artistique féminine, créer une ambiance d’entre-aide entre femmes/queers pour pouvoir émanciper leurs aspects créatifs et soutenir la lutte contre la discrimination basée sur le genre en intersectionnalité avec d’autres formes de discriminations tel que l’homophobie et la transphobie.

L’objectif n’est pas de reproduire un Hardzazat version Femmes et Queers, mais un festival à part entière avec des artistes, des projections et des ateliers nouveaux.

Pouvez-vous nous parler de cette tradition du Souss dont est issu votre nom ? 

Idn’tayalin (mot amazigh signifiant « Nuit des femmes ») est un rituel hérité par les femmes amazighes depuis bien longtemps. Bien qu’il ait commencé à disparaître, il persiste encore dans quelques zones au Souss, au Aulouse et dans les régions préservant cette tradition . C’est un événement qui se tient chaque année où les assignées femmes du village et des tribus voisines se rassemblent. Des petites filles aux femmes âgées, elles font la fête toute la nuit, chantent, dansent, préparent la nourriture et parlent de ce qu’elles vivent. Elles citent aussi des poèmes qu’elles ont écrit. Elles se rassemblent afin de créer un espace qu’on dirait non-mixte aujourd’hui, qui tend à être Safe, et où toutes les femmes peuvent s’exprimer librement, loin de leur quotidien restreint par le patriarcat , et bien loin des préjugés de la tribu (divorcée, pute, sorcière…), pour une nuit libérée des restrictions de leurs maris et des tâches qu’elles accomplissent pendant toute l’année.

Nous avons choisi le nom IDN’TAALIN en hommage à cette tradition issue de notre culture amazigh, qui est féministe à notre sens mais oubliée du milieu urbain, et qui meurt aussi, petit à petit dans sa région d’origine.

Le but principal de cette cérémonie est de créer un espace de solidarité, de sororité, et de force pour les femmes qui s’y retrouvent. Nous croyons que ces espaces-temps permettent aux catégories qui subissent les mêmes oppressions de redécouvrir leurs forces, de renouveler leurs énergies, de se sentir relativement plus libres quant aux corps ou à la parole, en s’exprimant plus ouvertement vis-à-vis des oppressions qu’iels subissent afin de se sentir plus assuré.e.s et/ou d’affronter leurs oppressions. 

A terme, l’objectif est-il de se fixer à Ouarzazate ? 

Pas du tout. Le festival Hardzazat est né à Ouarzazate, et y est resté jusque-là, on pense que c’est important de le maintenir au même endroit. Les gens s’y habituent, et il y a un besoin à Ouarzazate. Mais pour IDN’TAALIN, on voudrait qu’il soit plutôt nomade. En tant que femmes/queers, nous sommes passées par une phase où on avait du mal à voyager très loin (ou à voyager tout court) à cause de nos familles. On voudrait donc être plus accessibles aux femmes/queers et que le festival soit décentralisé, parce qu’on est conscientes que le fait d’habiter des grandes villes donne la possibilité de vivre de bons moments dans des festivals.

C’est aussi un défi à relever, vu que chaque édition aura ses spécificités selon les endroits. Et puis on aime être nomades ! On fait ça avant tout par amour…

Qu’est-ce que cela signifie d’être queer dans un pays comme le Maroc ? L’objectif de déconstruction de la domination masculine peut-elle être abordée de la même manière qu’elle peut l’être en Europe ?

D’un côté juridique, l’article 489 du code pénal marocain (des lois établies par le “protectorat” français) criminalise les relations homosexuelles, selon cet article :
Est puni de l’emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 200 à 1.000 dirhams, à moins que le fait ne constitue une infraction plus grave, quiconque commet un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe”. 

L’article 483 quant à lui criminalise même les expressions de genre non-normatives, utilisant des termes vagues pouvant aboutir à la poursuite judiciaire selon l’interprétation, et donc à la merci des agents de l’État. Selon cet article:
“Quiconque, par son état de nudité volontaire ou par l’obscénité de ses gestes ou de ses actes, commet un outrage public à la pudeur est puni de l’emprisonnement d’un mois à deux ans et d’une amende de 200 à 500 dirhams.
L’outrage est considéré comme public dès que le fait qui le constitue a été commis en présence d’un ou plusieurs témoins involontaires ou mineurs de dix-huit ans, ou dans un lieu accessible aux regards du public.”.

Sur cette base, il est difficile pour les personnes Trans* et/ou non-binaires de recourir à la justice pour porter plainte en cas d’agressions ou demander des services relatifs à leurs transitions hormonales et/ou chirurgicales et à leurs statuts civils, car toute enquête judiciaire peut révéler leurs identités de genre criminalisées.

La société, elle, est majoritairement homotransphobe. Elle pense que c’est “une vague” venue des pays occidentaux, à cause de l’amnésie et de la coupure de transmission qu’il y a eu chez nous de génération en génération. Être queer au Maroc veut dire qu’il faut être prêt.e à tout moment à se battre, parce qu’à tout moment on peut être harcelé.e, lynché.e. Être queer ici veut dire qu’on est systématiquement criminalisé.e, qu’on est un bug dans ce système, que les personnes avec des expressions non-normatives ne peuvent pas avoir des boulots stables et du coup iels sont plus appauvri.e.s. Il y a moins de dix ans, certaines activistes féministes disaient même que défendre les diversités de genre n’était pas une priorité, (cependant, le collectif Aswat a fait un bon travail pour faire avancer les choses), d’où notre intersectionnalité : pas de féminisme sans diversités de genre, pas de féminisme sans nous, amazighs, grosses, maigres, appauvri.e.s, TDS* (*travailleuses du sexe), africaines…

Chaque contexte est différent, cette déconstruction ne peut pas être abordée de la même manière qu’en Europe, vu qu’on ne le vit pas de la même façon. Nos méthodes, il faut les trouver dans notre contexte marocain, c’est aussi pour cela que c’est important pour nous de puiser dans notre culture. Le fait de voir les méthodes utilisées en Europe comme modèles relève lui-même d’une fascination de suprématie blanche qu’on voudrait aussi déconstruire. Il y a de bonnes leçons à tirer de toute expérience, mais on ne doit pas faire du « copier-coller ».

Comment établissez-vous votre programmation ? Quelles sont les disciplines artistiques représentées ?

Nos choix sont surtout influencés par nos propres backgrounds, puisque l’objectif est que tout soit fait dans l’amour. Certain.e.s d’entre nous aiment la culture hip-hop, le metal, le punk, la tekno underground, le Raï, les arts vivants… On a du mal parfois à trouver des artistes femmes/queers qui ont le même état d’esprit que nous. L’élaboration de la programmation prend donc parfois beaucoup de temps, et nous nous limitons aux artistes qui répondent à nos appels. Nous préférons fonctionner ainsi plutôt que de faire appel à des artistes femmes très mainstream qui ont un contenu qui ne nous parle pas.

Le festival a-t-il vocation à inviter des artistes étrangers ? 

Une de nos motivations est d’avoir une scène locale réunie de femmes et de queers, de réer une connexion entre artistes du Maghreb.

Les artistes locales.ux, de l’Afrique resteront la priorité.

Avez-vous pensé à prolonger vos activités (événement, débats, rencontres…) en Europe ?

L’année dernière, des ami.e.s marocain.e.s vivant en Europe ont organisé des soirées de soutien pour la section, ainsi que d’autres collectifs féministes européens. Si on croise sur notre chemin des collectifs Européens avec qui on partage la même vision, pourquoi pas, mais on ira pas les chercher.

Vous organisez beaucoup de workshops en lien avec des associations locales. Pouvez-vous retracer les ateliers que vous avez déjà organisés ? Et ceux qui sont prévus dans le futur ?

Les ateliers ont toujours été une composante importante de la programmation du festival Hardzazat, mais ils étaient plus inscrits dans ce qui est artistique (atelier de Graffiti, danse, cirque…).

Après la création de la section féministe queer, nous avons essayé d’intégrer des ateliers qui pourraient spécifiquement s’adresser aux femmes et les faire participer au maximum. Le premier atelier organisé dans ce sens a eu lieu en 2019. C’était une initiation au bricolage pour réaliser toutes sortes d’équipements (DIY) pouvant être utilisés par les assigné.e.s femmes pendant le temps qu’iels passent dans le désert, (un urinoir pour les assigné.es femmes, ou un mélange similaire à lacrymogène pour l’autodéfense en cas de besoin.. ). Puis l’année suivante, toujours au Hardzazat, nous avons essayé de donner plus d’importance aux ateliers à l’intérieur de la ville. Nous avons alors établi une liste d’associations locales qui travaillent avec les femmes célibataires, divorcées, travailleuses du sexe.., afin d’organiser des ateliers en collaboration avec iels. Mais malheureusement, nous n’avons pas pu le faire en raison des conditions sanitaires en 2020.

Pendant le Festival IDN’TAALIN, deux ateliers ont été réalisés : le premier portait sur l’autodéfense et les lois marocaines qui s’y rapportent, présenté par un membre fondateur du groupe d’action féministe. Le second portait sur le maquillage à l’occasion des fêtes, présenté par un.e maquilleuse talentueux.se. Dans le futur , nous aspirons à travailler davantage avec des associations locales de femmes, et avec des collectifs locaux qui partagent la même vision intersectionnelle que nous, comptant les collectifs Aswat / Nassawiyat / Dynamique trans* / Saqf et d’autres…

Dans votre texte de présentation, vous évoquez le besoin de relier les générations sur place, entre femmes d’âges différents. Pouvez-vous nous expliquer ce qui a motivé cet objectif ?

Jusqu’ici, notre culture était orale, transmise de bouche à oreille. Il y a eu une coupure entre les générations. Prenons le concept de la non-mixité par exemple, c’est quelque chose qui a toujours existé dans notre culture. Idem pour les sexualités et les identités de genre non binaires, sauf que cela n’était pas exprimé avec les mêmes termes que l’on connaît aujourd’hui. On peut dire que ce sont des termes occidentaux, même si ils n’ont pas été pensés ou vécus de la même manière. Faire un pont entre les générations nous permet de connaître notre culture, de nous la réapproprier, et de contribuer à sa transmission. Toute personne, peu importe son âge, a droit à avoir accès à la connaissance, à l’art et à des espaces où elle serait la bienvenue.

À cause du Covid, votre première édition a eu lieu en version digitale avec des résidences d’artistes ayant notamment donné naissance au clip « KIL L EGO ». Pouvez-vous nous raconter cette collaboration ? Ces artistes se connaissaient-elles avant ce morceau ? 

Vu les conditions sanitaires, nous avons proposé une version digitale avec de la musique (Rap et Tekno), des workshops, des podcasts, et une résidence hip-hop.

Pour la résidence, le concept était de constituer une équipe de travail composée de femmes pour réaliser un morceau de rap. Nous avons donc réuni des artistes rappeuses (de la nouvelle génération ou qui viennent de commencer leurs carrières) qui se connaissaient juste de loin. Pour la partie beatmaking, nous avons proposé à une artiste locale talentueuse. Ces rappeuses existent bel et bien, mais elles sont encore marginalisées dans une scène très masculine. Il existe aussi des clashs entre rappeuses. Nous nous sommes donc dit qu’une collaboration entre rappeuses était nécessaire pour essayer de donner une autre vision d’un rap féminin qui ne soit pas compétitif dans le sens sexiste de la chose. Cela a donné naissance au clip « KIL L EGO ».

C’est tout l’objectif de notre festival : être un point de convergence, de discussions et de création entre les artistes femmes et queers, notamment celleux qui viennent d’Afrique et plus spécifiquement.du Maghreb. On ne voudrait pas que cela soit juste un événement annuel. Plutôt un espace de création où les artistes pourraient se rencontrer et créer des choses communes par la suite.

Quels sont vos objectifs dans le futur ?

Établir un réseau solide de coopération et de solidarité durable entre artistes femmes/queers, agent.e.s culturel.le.s au Maroc et au Maghreb. Que les débats sur les questions qui nous touchent, sur nos luttes, soient accessibles au maximum de femmes/queers, loin des débats élitistes. Pouvoir créer un espace-temps où les femmes/queers peuvent se sentir plus en sécurité pour bouger, prendre la parole, être ensemble sans avoir à monter la garde en permanence.

S’auto-former tout en créant, pour pouvoir créer des studios d’enregistrement par et pour les femmes/queers, loin de la domination masculine. Restaurer au maximum le côté queer et féministe de notre culture, puis développer une production collective, qui sera accessible en copyleft à toute personne qui la veut, aux antipodes de la vision copyright qui n’est révélatrice que de compétition et de limitation du droit à la connaissance et à l’art. Une vision qui ne correspond pas du tout à notre philosophie.

Avez-vous un message à faire passer à nos lecteurs.lectrices ?

Un énorme merci aux personnes qui ont travaillé avec nous durant la première édition sans même nous connaître personnellement et sans attendre de contrepartie (nous avons entièrement financé l’édition avec un crowdfunding).

Seules nos visions ont suffit pour que l’on collabore ensemble, et c’est génial. Merci à nos alliés, aux gens que l’on ne connaît pas qui ont cru en nous, à nos ami.e.s qui nous ont soutenus depuis le début, aux personnes qui nous ont accueillixs dans leurs espaces. Force et courage à toute personne opprimée par le capitalisme, par les barrières, par le sexisme et l’homotransphobie, par le racisme, force et courage aux TDS… et à bas toute autorité.