« Hoffmann », c’est le nom du gars.
« Wanderer » (« vagabond »), c’est pour le côté exploration. Le fait d’être apatride et sans attaches. De ne jamais se limiter à une chose et de s’ouvrir à toutes sortes de sujets.
Ces dernières années, ce passionné de photo s’est fait connaître via sa page TikTok militante, abordant des sujets de société sous un angle antifasciste, libertaire et progressiste, avec presque 200 000 abonné.e.s au compteur. Que ceux qui pensent que les réseaux sociaux ne contiennent qu’un contenu néfaste et dégradant pour les neurones lisent avec attention cette interview;)
Vous pouvez aussi consulter la chaîne du principal intéressé sur Instagram. Finalement, peu importe l’espace, du moment que l’on peut se réunir pour discuter, échanger, et s’enrichir intellectuellement en défendant des idées de gauche radicale rarement (ou jamais) relayées dans les médias traditionnels !
La parole est à Hoffmann Wanderer ! | Par Polka B.
Peux-tu nous raconter ton parcours et évoquer tes origines sociales ? Où as-tu grandi ?
Je suis originaire du Nord-Pas-de-Calais. J’y ai vécu pendant 25 ans. Niveau classe sociale, je dirais « classe moyenne basse ». Avec ma famille nous étions loin d’être riches, même si j’ai eu la chance de ne pas vivre dans la pauvreté.
Comment as-tu forgé ton esprit critique ?
Je voulais faire comme les copains dans le milieu punk. A mes 13ans, je luttais de facto contre le fascisme, même si je ne savais pas vraiment ce que c’était. Je ramenais ces discours chez moi.
J’en discutais avec mes parents. Surtout avec mon beau-père qui était prof de lettres. Il avait une bonne connaissance sur pas mal de sujets.
Je luttais à Lille en m’opposant aux fachos, mais je développais ma pratique théorique en parallèle… Et là où la plupart des potes étaient « punks de façade », je n’ai jamais lâché. D’ailleurs, certains d’entre eux sont devenus flics, ou on fait une école de commerce !
Bref. J’ai toujours continué à lire des ouvrages militants, jusqu’à aujourd’hui.
Comment en es-tu arrivé à créer ta propre chaîne TikTok, au contenu militant et politique?
J’étais surtout actif dans le militantisme « de rue » à Lille. En plus de l’aide que j’apportais à quelques assos, j’étais aussi actif sur les réseaux sociaux habituels comme Twitter ou Facebook. Il faut rappeler que j’habitais à la campagne. Aller à Lille, ce n’était pas rien !
Un jour, j’ai changé de boulot et j’ai débarqué à Amiens en plein milieu du Covid ! Impossible de rencontrer des gens… J’en avais ma claque du militantisme Twitter. Très agressif, très creux, et sans réel débat au final. Alors je me suis penché sur TikTok par curiosité.
J’en avais une image assez négative. Je le voyais comme « un truc de gamin, », conçu pour danser sur de la musique et faire des chorégraphies.
Mais en naviguant dessus, j’ai découvert des contenus vraiment intéressants. Notamment de la vulgarisation scientifique sur des formats assez courts. J’ai eu l’idée de faire pareil sur les idées politiques en vulgarisant les discours militants. Ça a démarré comme ça. Comme une sorte de passe-temps pendant le confinement. Et comme les retours étaient très bons, j’ai continué. Même si la chaîne a mis du temps à « vraiment » démarrer (Rires)
Combien de vidéos as-tu faites pour que cela prenne ?
J’ai créé un premier compte qui se faisait tout le temps striker. Comme je risquais un ban définitif, j’ai recommencé à zéro. Aujourd’hui en un an et demi, j’ai plus de 188000 abonné.e.s. Pour tout dire, il y a eu un gros boom lors du deuxième confinement !
Comment choisis-tu tes sujets ?
Il y a forcément une part d’actualité. Je fais beaucoup de vidéos de réaction. J’aime démontrer que des points de vue que j’estime critiquables sont faux, ou qu’ils résultent de paniques morales. Bien sûr, il faut aussi rétablir des vérités en mobilisant les bons arguments.
C’est vrai que tu réponds à beaucoup de créateurs de contenu d’extrême droite. On sent qu’ils t’énervent vraiment, et que le fait de démonter leur argumentaire constitue une source de motivation en soi !
C’est vrai. Ils disent tellement de conneries que j’ai envie de réagir. Pour moi, personne ne les contredit jamais. Ou vraiment trop peu ! Et il faut le dire, c’est un appui facile pour créer du contenu. Je rebondis sur quelque chose. Et en démontant des affirmations qui ne sont pas vraies, tu amènes de l’info qui a du sens. On essaie de rendre cela intéressant pour les gens qui regardent… Et parfois même, c’est plutôt drôle !
Parfois, les gens qui me suivent me demandent directement de développer des sujets. Quand cela m’intéresse et que cela correspond à ma ligne éditoriale, je le fais !
Comment définirais-tu ta ligne éditoriale ?
L’antifascisme en général, qui pour moi englobe la lutte contre toutes formes de discrimination. Pas seulement le fascisme en tant que tel. La lutte contre la LGBTphobie, le racisme, le validisme, le classisme…
J’aborde aussi des concepts d’ouverture aux thématiques anarchistes au niveau politique et social.
Tu créées aussi du contenu culturel avec des critiques de films, de séries…
Je suis un vrai passionné ! Je ne voulais pas forcément en parler au début. Et un jour, quelqu’un a analysé le film Fight Club en le détournant totalement de son propos.
En gros, la personne critiquait le fait d’amener un contenu politique dans un film. Ce qui pour moi est totalement stupide ! Tout est politique. Tu ne peux pas isoler une production artistique d’un certain contexte.
Bref, ma vidéo de réaction a pas mal plu, et j’ai vu qu’il y avait une attente. Même si c’est occasionnel sur mon compte, j’ai continué d’en faire.
Et des fois je ne parle même pas de politique. Je donne simplement mon avis et ça fait du bien ! Comme une pause… Cela aère la chaîne sur un ton un peu plus léger.
Mais certains films portent un contenu politique très fort. Le lien est évident. Je pense par exemple à Barbie, Le Règne Animal, ou Le Consentement.
Selon toi, pourquoi les réseaux sociaux sont ils autant saturés de contenu réacs et conservateurs ? Et pourquoi trouve-ton aussi peu de chaînes à la sensibilité progressiste et inclusive ?
Je ne pense pas que cela soit un problème de « quantité de contenu ». Car on trouve aussi beaucoup de gens de gauche. Le vrai problème, c’est la popularité des gens d’extrême droite sur ces plate-formes. La banalisation de ces discours date d’une bonne vingtaine d’année.
Les jeunes ont été particulièrement touchés, notamment la tranche 15-18. Le forum de jeuxvideo.com a été un nid pour ces idées ! Au début, c’était du troll. Et petit à petit, l’extrême droite a joué là-dessus. Le fait de se moquer des choses avec ironie, d’être contre l’autorité… Ils ont recruté énormément de monde.
Et quand tu te convins de quelque chose à 15 ans, c’est très dur de se remettre en question. Surtout quand une idéologie te persuade que tu es le meilleur, le plus beau, le plus fort, et que si les autres sont en dessous, c’est parce qu’ils sont nuls. Quand tu es ado, ça plaît. Les idéologies libertaires sont plus « belles » sur le papier, mais il faut apprendre à se remettre en question.
Reconnaître que l’on est privilégié par exemple. C’est con à dire, mais il faut beaucoup plus réfléchir pour être à gauche. En tout cas, cela demande plus de réflexion sur soi-même…
Est-ce parce que les contenus réacs sont plus « divertissants » pour les gens ?
C’est le « clickbait » ! C’est du flash, c’est rapide. On ne cherche pas à analyser. Sauf que la moitié du temps, c’est totalement faux. Ou alors, c’est « à moitié vrai » : on se sert d’un chiffre pour affirmer quelque chose en zappant le contexte. J’ai même vu des comptes reprendre sérieusement des infos du Gorafi ! C’est te dire le niveau !
Bref, cela revient à ce que je te disais tout à l’heure. Si le monde va mal, c’est toujours la faute des autres. Si tu cherches à expliquer les problèmes générés par le capitalisme, il suffit de dire que c’est les wokes ! Et voilà, c’est réglé. Sinon, c’est l’islam, ou les étrangers et ainsi de suite…
Peux-tu nous parler des haters ? Quelles sont les interactions avec tes différents publics selon les réseaux ?
J’ai arrêté de lire les commentaires sur Insta ! C’est la poubelle, vraiment. Certains se vantent ouvertement d’être nazis ! J’ai plus de commentaires sur TikTok, et c’est davantage nuancé. Du moment que cela reste sur les réseaux, ça va.
L’an dernier j’ai eu un souci. Des membres de l’Action Française d’Amiens m’ont attendu à la sortie du taf. Il n’y a pas eu de conséquences particulières mais quand même ! J’étais en tenue de travail, et j’ai vu quatre personnes cagoulées dans une voiture. Ils s’étaient garés devant la mienne pour me bloquer. Je n’ai pas cherché à jouer. Je ne savais pas si ils étaient armés, alors je me suis enfermé à l’intérieur et j’ai attendu.
Ils voulaient se faire plaisir entre eux je pense. Genre « on va faire peur à un woke ». Mais c’est à peu près tout…
Tu reçois aussi énormément de soutien ! Tes followers te donnent de la force…
Oui, cela fait beaucoup de bien. On me dit que je fais du bon taf, et cela m’apporte au niveau personnel. Au delà de ça, c’est toujours bien de sentir que ces idées sont partagées par beaucoup de monde. Cela donne espoir. J‘ai reçoit aussi beaucoup de critiques de gens plutôt bienveillants.
Ce bon cliché des gauchistes qui passent presque autant à se taper entre eux qu’à taper sur la droite. C’est bête, mais c’est vrai ! (Rires). Deux anars qui ne lisent pas le même bouquin peuvent s’entre-déchirer ! Au final, ce qui compte pour moi, ce sont les retours constructifs. Le reste, ce n’est que du détail.