Photo © Jif 2010 : citizenjif.com

Haoussa – Haoussa

Haoussa – Haoussa (2012)

Cocktail molotov Aïssâwi

De tout temps, les groupes s’inspirent d’autres groupes. Une somme de ressemblances, d’influences, et d’inspirations… Mais de qui s’inspire Haoussa ? De façon miraculeuse et spontanée, le groupe a créé une identité musicale insaisissable, puisant dans la singularité, la rage et la folie créatrice de chacun de ses membres. Haoussa ne fait pas du punk. Mais aucun groupe n’est plus punk que Haoussa. | Par Polka B.

Des musiciens habillés de blouses rouges, bleues et oranges. Sous une grosse perruque rose fluo, le chanteur pousse des cris aigus dans une langue inconnue. Des onomatopées, des rugissements, des petits bruits qui se multiplient… À l’unisson, toute l’équipe apporte sa pierre à l’édifice. Chantée a cappella, cette pluie forme une symphonie imprévisible, asymétrique et délicieusement imparfaite. Une lead de guitare l’accompagne. Les autres musiciens n’ont que faire de leurs instruments, posés au sol. Des ombres surgissent de l’autre côté du rideau et viennent servir du thé à quelques personnes du public. Finalement, le batteur retourne derrière ses fûts. La rythmique retentit. La première note de basse pointe le bout de son nez. Bienvenue chez Haoussa.

On se croirait dans un magasin de jouets, remplit de détraqués entrés par effraction. N’inspirant qu’à s’éclater, foutre le bordel. Sur scène, les 5 Haoussa sont dans leur salon. Tout paraît possible, ils emmerdent le monde et s’en délectent. Le casting est explosif : un batteur et un bassiste venant du metal, un chanteur issu du breakdance et du rap, un guitariste autodidacte débordant d’idées, et un Dj- claviériste amoureux de toutes les musiques. 

Selon les mots du batteur Azzedine, c’est bien ce bordel (dés-)organisé qui faisait la force du groupe :

« Chacun ramenait sa rage, ses frustrations, ses points faibles… Et on balançait tout ça en répét. On ne savait pas quelle direction ça allait prendre, mais on finissait toujours au moins avec deux morceaux complètement chtarbés. Musicalement, c’était incompréhensible… Et bizarrement, on s’est rendus compte ça avait du sens pour les gens. »

Photo © Citizen JiF 2010 :  citizenjif.com
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Très vite, le public accueille cette folie musicale à bras ouverts, voyant en eux les successeurs  du légendaire groupe Nass El Ghiwane pour leurs textes sincères, à la fois sarcastiques et engagés, si proches de la réalité du peuple marocain.

Le destin du groupe change lors de sa rencontre avec une productrice française, la regrettée Sarah Hajlblum. Aux manettes du label parisien Basaata à cette époque, elle aide à la structuration et au développement de nombreux artistes marocains à l’étranger. Quand elle assiste au show des 5 Haoussa, c’est le coup de foudre. Sous son impulsion, le groupe ne va pas tarder à exporter sa musique en jouant dans de grands festivals en France, en Suisse, en Allemagne, en Hollande, en Espagne et au Brésil (seul pays au monde à avoir son fan-club officiel de Haoussa!). Mais avant toute chose, il faut enregistrer un album. Sarah Hajlblum va leur offrir cette opportunité, et pas dans n’importe quel studio.


« Du jour au lendemain, on s’est retrouvés à Paris dans les locaux du mythique Studio Davout. Pour nous, c’était incroyable. Surprenant aussi. D’un coup, on était entourés de grands professionnels… On y était pas du tout habitués. Avant de connaître notre productrice, nous étions des apaches ! On voulait juste jouer, sans se poser de questions. »

Une question se pose d’emblée : comment reproduire cette insouciance (faisant le charme du groupe) sous les contraintes du format d’un album, en compagnie d’arrangeurs ? 

« On avait pas été préparés à ça. On n’avait même pas de démo quand on est entrés en studio ! Et sur scène, nous ne jouions jamais nos morceaux de la même manière. Nos concerts ne se ressemblaient pas. Le vrai travail sur ce disque, c’était de produire un objet auquel on puisse s’identifier. Mais c’était difficile car tout était trop clean ! Imagine des sauvages en costard-cravate (Rires) … ça le fait pas ! C’était juste une autre façon de voir les choses. On mesurait tout de même notre chance de découvrir tout ça, alors on a fait de notre mieux. »

Sur l’album, plusieurs chansons ont durablement marqué le public marocain. 

« L’Ftikhabate » est rapidement devenue l’emblème du disque. Plus linéaire et cyclique que les autres morceaux, il laisse plus amplement place aux textes de Khalid Moukdar. Proposant un jeu de mot entre le droit de vote et le fait de « se faire rouler », il pointe l’illusion de la démocratie de façon ironique et théâtrale. 

« Magrebhi Hoor » (pour « typiquement maghrébin ») illustre parfaitement la folie créatrice du groupe, sans couplet ni refrain. À géométrie variable, le morceau collectionne les mélodies inattendues en restituant la dynamique débridée du groupe, toujours gorgée d’enthousiasme en salle de répét’.

« Al Wada3 » s’adresse directement au système. Un coup de gueule hurlé aux oreilles d’un gouvernement ne connaissant rien des aspirations de la jeunesse, tout aussi puissant en version acoustique.

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8 ans après la sortie de cet album (considéré pour beaucoup comme un classique), le groupe est en stand-by. Du reste, personne n’en a jamais annoncé la fin. Peut-être que la formation va reprendre… Peut-être pas. Peut-être qu’il y aura d’autres membres… En tout les cas, Haoussa is not dead !

Pour une immersion dans la musique et dans l’esprit du groupe, nous vous conseillons de regarder la vidéo « Haoussa et Issaouas de Fès, Mehdi Nassouli @ Festival gnawa d’Essaouira », toujours disponible sur internet. À l’occasion de ce festival, les Haoussa avaient croisé le fer avec un célèbre ensemble traditionnel Aïssâwa. D’une attirance forte pour les dissonances, la transe et les ambiances sombres, cette culture musicale ancestrale trouve un point de jonction évident avec la musique des cinq punks. Comme toujours, rien n’avait été préparé… 

Cette magie de l’instant, nul ne pourra jamais la capturer sous le format d’un album.

Pourquoi « Haoussa » ?

Le nom du groupe ramène à plusieurs significations. Renvoyant à la « frénésie », c’est d’abord le nom d’une langue parlée dans toute l’Afrique, principalement issue du Niger et du Nigeria. C’est aussi le nom d’un peuple qui a longtemps pratiqué la religion animiste avant l’arrivée de l’islam. Quand l’islam est apparu dans les régions haoussas pendant le XIVe siècle (par l’intermédiaire de voyageurs et de commerçants venus des régions situées au nord du Sahara), les grands chefs urbains se sont appuyés sur les deux types de croyances pour légitimer leur pouvoir dans les zones rurales. 

Cet image hybride d’un islam « adapté » a beaucoup parlé au groupe. Un islam de la vie quotidienne, propre à la « tribu Haoussa » et mis au goût du jour dans le contexte du Maghreb.