Sa musique avait beau nous hanter, le dénommé Filmmaker restait une énigme. Très discret, le producteur colombien nous gratifie d’albums plus excellents les uns que les autres depuis le projet Visceral : rien de moins que 14 projets en 2 ans !!! Oscillant entre techno, EBM, coldwave et synth-punk, son univers musical se décline sous différentes formes à chaque album (tout comme ses visuels, qu’il réalise lui-même). De l’artisanat DIY comme on l’aime. Filmmaker nous a accordé une de ses toutes premières interview, excusez du peu ! | Propos recueillis par Polka B.
Comment as-tu débuté dans la musique ? As-tu commencé avec des instruments ou directement avec des machines ?
Filmmaker : J’ai commencé avec des instruments à cordes (guitare, basse, violon) dans des groupes. Plus tard, je me suis à produire en solo avec des synthétiseurs.
Pendant ton enfance, quelle était ta culture musicale ? Qu’est-ce que tu écoutais ?
J’étais dans la culture punk. J’écoutais surtout du hardcore, du d-beat et du crust punk.
En Europe, on connaît assez peu la culture electro colombienne. Peux-tu nous expliquer comment cette scène s’est développée ?
Je ne peux pas l’expliquer car personnellement, je ne me sens pas vraiment intégré à cette scène, désolé. D’ailleurs pour moi, il n’y a pas vraiment de « scène » ici. De ce que j’ai vu, il y a assez peu de collectifs techno qui font vraiment des choses. J’ai surtout vu des comportements arrogants et pas mal d’entre-soi. Des gens qui mettent en avant leur capital social et leur image plutôt que leur musique. Pour parler plus spécifiquement de l’electro, je peux seulement dire que les meilleurs choses que j’ai vues en Colombie viennent de producteurs qui ne font pas partie de ce pseudo « cercle underground » colombien. Je pense que dernièrement, toutes ces personnes sont en phase de construire leur propre culture.
La scène electronique EBM (synthpunk, darkwave, industrielle…) est-elle active à Medellin ? Comment as-tu découvert cette musique ?
Comme je te disais précédemment, je ne me sens pas intégré à cette scène. Je la connais assez peu. Pour moi, on assiste actuellement à un grand renouveau. Cela prend de l’ampleur sous l’influence des différents mouvements issus de la techno. Ces dernières années, cela s’est traduit par l’influence d’artistes étrangers comme Petra Flurr & 89st, Sarin, December, Terence Fixmer. Les artistes locaux qui puisent dans ces esthétiques sont en train d’émerger. En Colombie, je pense que cela se développe davantage à Bogotá. C’est une ville plus grande où l’on retrouve ce genre d’artistes et de labels comme Pildoras Tapes, Black Leather Records et Analogue Texture Records. Sinon, j’ai découvert ces styles de musique en traînant sur Discogs et en apprenant l’histoire des différents mouvements de musiques électroniques, comme le new beat belge et la techno industrielle.
Quelles sont tes sources d’inspiration, tes esthétiques de référence ?
Principalement la no wave et le krautrock. Mais j’ai d’autres sources d’inspiration : des artistes comme Swans, Can, Nurse With Wound, Coil, Muslimgauze, Genesis P-Orridge, Dean Blunt et Lil Ugly Mane.
Tu es vraiment très prolifique depuis le projet Nocturnal sorti en mars 2019… Quasiment un projet tous les mois ! Comment fais-tu pour tenir ce rythme ? Est-ce dû à une nouvelle façon de voir les choses, ou à une manière plus efficace de travailler ?
Je dois ce rythme de production aux pulsations de la mort ! Je veux juste utiliser mon temps en faisant ce que je veux avant qu’il ne soit trop tard. Je sais que je ne suis pas un perfectionniste, mais je préfère ne pas attendre et sortir tout ce que je fais. Pour avancer et avoir des résultat inattendus.
Un ami producteur voulait connaître tes méthodes de travail. Peux-tu nous dire quels outils tu utilises ?
Chaque album est construit avec des outils spécifiques. Certains sont faits avec les applis iPad, d’autres seulement avec Elektron Analog Rytm, certains avec Synthstrom Deluge, et d’autres fois je les combine avec des synthétiseurs ou de la guitare. Ma manière de travailler est similaire à ma façon de faire les lives. La plupart sont des enregistrements en une seule prise sur bande, certains étaient multi-pistes pour un montage ultérieur, d’autres n’étaient que le mixage stéréo complet. J’aime également essayer d’autres configurations pour le live. La liste comprend l’Octatrack, le Toraiz SP-16 et l’Empress Zoia pour les effets, le filtrage, la compression et le bouclage.
Tes visuels de pochette sont assez fascinants, surtout les gravures. Fais-tu toi-même ces illustrations ?
Oui, je le spécifie dans les crédits à chacune de mes sorties. Parfois, ce sont les illustrations qui guident la direction artistique du projet. Parfois, c’est la musique elle-même qui m’inspire la pochette.
Tes premiers albums étaient assez influencés par la techno minimale, alors que tes récents projets étaient plus dark, industriels et « tribaux » (Dimensional). Souhaites-tu évoluer dans cette direction dans le futur ?
Je pense que ce sera la principale direction pour cette année. Mais dans le futur, je reviendrai vers des trucs plus minimal synth et post-punk.
Tu joues beaucoup à l’étranger (dernièrement en Australie et en Nouvelle-Zélande). Est-ce plus facile pour toi de tourner hors d’Amérique Latine ?
C’est de plus en plus difficile avec les questions de visa, mais pour le booking et les retours du public, c’est bien mieux pour moi de tourner à l’étranger.
En Colombie, joues-tu dans les clubs ? Est-ce plus simple pour toi de jouer dans les bars ou dans le format d’un concert ?
J’ai le plus souvent joué dans des clubs, que cela soit en Colombie ou à l’étranger. Quelques fois, c’était dans le contexte d’un concert avec des groupes dans le line-up. C’est possible pour moi. Si besoin, j’adapte mon set et mes performances. Le son de mon live et très flexible et peut coller à toutes sortes d’événements.
As-tu prévu de venir jouer en France ? Tu as des contacts ici ?
Oui, si seulement la situation pandémique le permet, je serai bientôt en tournée et je devrais pouvoir jouer à Paris. J’ai déjà quelques contacts, notamment avec OKVLT, le label avec qui j’ai récemment sorti mon dernier projet Dimensional.
Quels sont tes objectifs avec le projet Filmmaker ?
J’avance sans me poser de questions mais je voudrais bien faire un film ou en composer la bande-originale. Le faire sur un jeu-vidéo, ce serait vraiment très intéressant. Et peut-être plus tard, créer mon propre label.
Veux-tu ajouter quelque chose ? Tu aurais un morceau à nous suggérer ?
Soutenez et aidez les artistes dans cette situation actuelle d’enfermement. Récemment, j’ai écouté un morceau qui s’appelle « Dramamine » par Baroque.