El Franki (SKJS) – MONEY MAKERS (2019)
Rap – Zaragoza
Contrairement à la France, la scène rap espagnole s’est particulièrement développée dans l’underground, dans une optique DIY (plus par nécessité que par choix) et dans des villes isolées comme Saragosse, bien loin de l’effervescence de la capitale. Réputé hardcore, sombre et sans concessions, le rap made-in-Zaragoza concentre toujours autant de talents méconnus. Une vitalité plus que jamais d’actualité, avec El Franki du crew Eskejes Herejes. | Par Polka B.
Dès l’introduction de la mixtape Money Makers (postée sur Youtube), on se retrouve plongé dans l’univers du jeu d’arcade Asteroïds, développé par Atari au début des années 80. Le but du jeu est de tirer et de détruire des astéroïdes et des soucoupes sans entrer en collision avec l’un ou l’autre. Le jeu devient plus difficile à mesure que le nombre d’astéroïdes augmente.
Fil rouge du projet, le jeu-vidéo Asteroïds met en scène le quotidien d’El Franki dans les quartiers chauds de Saragosse. Ces ruelles, ils les connait comme sa poche. Il les aime et ne déménagerait pour rien au monde. Mais il a aussi appris à les craindre. Dans le jeu du barrio, il y a toujours quelque chose à gagner. Il y a aussi beaucoup à perdre. Ces instincts schyzophrènes et paranoïaques, aussi implacables que le tranchant d’une lame de rasoir, c’est tout l’ADN de la musique de son groupe Eskejes Herejes (SKJS). Composé de Zero, de Kuervo, de C. Ochoa et de Mr. Pekeño –tous invités sur la mixtape -, le crew n’a pas son pareil pour déglinguer les instrumentales crasseuses, qu’il s’agisse de décrire la violence d’un mode de vie (« El Pakto », 2013) ou d’en dénoncer les excès (« Ciudad de Dios », 2015).
Pris entre ces deux feux, El Franki s’est inventé son propre équilibre. Dans la jungle, impossible de se reposer sur ses lauriers. Rien n’est gratuit. Devenir quelqu’un dans sa ville? À condition de défendre les intérêts du crew (« P.D.N.K.D. »). Passer du bon temps? À condition de ne pas devenir une proie (« Por ser de presa »). Mener une vie parrallèle? À condition de respecter ses proches (« 1952 »). Assumer l’amour du risque? À condition d’éviter la détention. Au fil du disque, le rappeur tombe le masque. Fini de jouer. À peine dissimulés derrière la métaphore du jeu d’arcade, les actes illégaux constituent le véritable fil rouge de la mixtape. Sur la pochette du disque, El Franki ne s’est-il pas lui-même représenté en train d’ouvrir la machine d’Asteroïds au pied de biche? Il « fera de l’argent », mais selon ses propres règles. Qu’est-ce qu’un pirate irait donc bien faire sur le marché du travail?
Loin d’être totalement plongée dans la noirceur, la mixtape laisse place à quelques moments d’accalmie. Pour El Franki, l’illégalité peut aussi être un exutoire. Il faut bien souffler un peu. Ce sentiment de liberté, il l’a trouvé dans le graffiti. Dans la rue et les dépots de train. Cette somme de sensations fortes est compilée dans le morceau « Spitztrainers » en compagnie de Sito, son fidèle partenaire de vadrouille.
Et comme rien n’est jamais vraiment simpliste ou manicchéen avec les membres du crew SKJS, El Franki vient clore son projet de façon suprenante: c’est bien le dansant « Catch Money » (et sa batterie afro-trap) qui accompagnent les images d’un clip tourné à New York! Bonne écoute!