DEATH PILL & HÄXAN EN UKRAINE

Riot grrrl bands en Ukraine

DEATH PILL & HÄXAN

Via des amis communs, nous sommes entrés en contact avec deux groupes de meufs actuellement en train de déglinguer les scènes punk en Ukraine ! Ce qui tombe bien, c’est que les deux groupes viennent de deux zones culturellement différentes. Les Death Pill sont basées à Kiev (historiquement plus proche de l’Europe occidentale), tandis que les Häxan habitent Odessa et Nikolaïev (partie russophone du pays, située au sud).

Ce dossier ne saurait constituer un état des lieux de la scène en Ukraine. Il s’agit plutôt de donner la parole à deux groupes locaux pour un compte-rendu de leur expérience. Bonne lecture et bonne écoute ! | Par : Polka B. / Trad : Nino Futur

Un grand merci à Rémy et Alicia K. (traduction du russe vers le français), à Noémie du Studio La Barrak (Creuse), et à Bo_Nyk du groupe Ritual Service (Odessa).

Death Pill : https://deathpillgrrrlz.bandcamp.com   |  Häxan : https://backl.ink/147299525

Aujourd’hui en Ukraine, la scène DIY punk combine différents genres musicaux. Il peut s’agir de punk rock, de punk hardcore, de heavy metal dans plusieurs esthétiques, d’expérimentations électroniques et de différentes manières de présenter le même message. Insatisfaction envers les autorités, colère envers la répression policière, envers la réticence des gens à désobéir et à ne consommer que ce qu’on leur donne. Finalement, la scène punk DIY ukrainienne partage beaucoup de similitudes avec bon nombre de pays.

Le plus souvent, il est possible de trouver un club ou une salle de concert organisée dans des villes comme Kiev, Odessa, Kharkiv et Lviv. Dans d’autres villes, il faut souvent improviser, chercher des lieux abandonnés, des espaces artistiques plus ou moins libres.

Mais généralement, les groupes ne se soucient pas de l’endroit où ils jouent, tant qu’ils disposent d’une sono bien bruyante ! Selon Bo_Nyk, guitariste du groupe local Ritual Service :

L’essentiel, c’est qu’il y ait suffisamment de personnes intéressées. Difficile de juger de l’activité de la scène, ça l’a toujours été, ça l’est et ça le sera toujours. De toute façon, c’est notre pays: il y a trop de problèmes sociaux pour que les punks cessent d’être actifs.

DEATH PILL (Kiev)

Interview
Marianna (guitar/ voix)  | Anastasia (drums)  |  Natali (bass)

Comment pourriez-vous définir la scène punk DIY ukrainienne ?

Natali: Des festivals DIY se sont bien développés ces dix dernières années. Il y a de nouveaux groupes qui reçoivent le maximum de soutien (financier et moral) du public avant même les toutes premières sorties et concerts ! Le punk rock n’est pas toujours une question de musique, de compétences musicales ou de qualité, mais toujours d’honnêteté, de vérité et de confiance (c’est pourquoi on est toutes là) ! Ces derniers temps, il y a eu de nombreux personnes qui voulaient contrôler ‘le business’ pour faire des bénéfices. Et non, il n’y a rien de mal à s’acheter un verre, une bière, si cela doit payer l’hôtel et le défraiement avec un pourcentage sur les entrées.

Mais essayer d’aller trop loin, et d’aggraver les conditions des musiciens pour faire de l’argent, il me semble que c’est une sacrée arnaque anti-DIY ! Dans certains cas, ça démotive même les groupes de jouer quelque part.

Jouez-vous seulement dans des lieux « officiels » ou vous arrive-t-il de jouer dans des squats ?

Marianna : On aimerait bien jouer dans des squats s’il y en avait ! Malheureusement, à ce jour, il n’en existe plus en Ukraine.  Par contre, il nous arrive souvent de faire des concerts dans des lieux insolites : un skate-park, une usine abandonnée… Et même un bateau que les organisateurs avaient loué pour la journée. Il avaient amené leur sono, vendu les tickets à l’avance, et aménagé leur propre bar pour monter une croisière punk !

Natali : C’est vrai qu’il y a beaucoup de « secret places » gérés par des festivals dans des friches abandonnées. En temps de covid, ce genre d’événements sont de plus en plus réguliers. 

Quelles sont les villes phares de la scène en Ukraine?

Marianna : Après la quarantaine, les villes se sont réanimées… et ça fait grave plaisir ! Certaines étaient toujours complètement mortes, mais dans d’autres, la scène musicale ne s’est pas arrêtée. Ici, la plupart des jeunes ont déménagé dans de grandes villes pour étudier à l’université, et après la fin de leurs études, ils y sont restés de façon permanente. C’est le cas à Kiev, Kharkov, Lviv…  Chez nous, c’est un phénomène très fréquent.

Natali :  Partout où tu as une scène pour jouer, tu gères ! Cela, ne dépend pas de la population ou de la proximité par rapport à la capitale. Dans certains endroits il y a des groupes locaux avec des scènes, et dans d’autres non. A mon avis, la ville de Zhytómyr a exercé une influence importante car ils ont organisé pendant 10 ans le festival « Burn the Scene for Fun ». A Kalush, il y a aussi le festival « Back to Youth ». Ce sont des points centraux. Kharkov et Odessa sont plus impliqués dans le hardcore et organisent leurs propres festivals, et la ville de Jmelnitski, c’est plutôt le screamo. On ne peut pas dire qu’il y ait une capitale punk-rock un Ukraine. Il me semble juste qu’à Loutsk, il ne se passe rien.

Comment définissez-vous votre style ?

Il s’agit principalement de punk hardcore/crossover. Une fois, on a donné une interview à un magazine en ligne britannique et j’ai bien aimé la façon avec laquelle ils ont décrit notre style musical : « Imagine Slayer but fronted by Kathleen Hannah« . Nous écoutons toutes de la musique très différente, donc on ne va pas se mettre de limites. Après 4 ans de hardcore, on s’ennuyait un peu. On aime faire de la musique et surtout la jouer ensemble, car on adore mélanger des styles, les sons, et changer sans arrêt le tempo des chansons.

On a l’intention de collaborer avec des artistes de musique électronique car de quel punk rock peut-il s’agir si on ne le limite qu’à un seul style musical ?

Les comportements misogynes sont-ils particulièrement présents au sein de la scène ?

Marianna :  J’ai monté mon premier groupe pop-punk en 2012. En tout, j’ai changé 9 fois de groupe (il y avait un peu de tout : pop-punk, heavy / glam, thrash metal, hardcore, pop-rock). Tout ce temps (et même encore), le fait d’être une meuf à la guitare est compliqué. Peu importe le genre de musique que tu joues. Il y a toujours plus d’attention qui se porte vers toi, comme si le public, les techniciens de la scène ou les internautes te lançaient un défi constant, genre : ‘Allez meuf, montre de quoi tu es capable !’ Cela te fatigue beaucoup émotionnellement.

Аnastasia: Perso, je casse la gueule à ceux qui essaient de m’attaquer pour mon identité sexuelle.

Peut-on dire que le mouvement Riot grrrl est en plein développement ?

En tout cas, lorsqu’on a commencé sur la scène underground il y a quatre ans, il n’avait pas d’autres groupes de meufs à part nous. Maintenant je peux citer jusqu’à 5 groupes de femmes en activité et énormément de groupes mixtes. Je pense que c’est la première fois qu’il y a 6 groupes féminins actifs en Ukraine. J’en ai toujours rêvé et je voudrais qu’il y en ait encore plus ! Les meufs inspirent les meufs !

Pour ce qui est de l’unité la scène au niveau du pays, on est surtout potes sur internet ! C’est très difficile de s’entraider dans la vie réelle car on vit toutes dans des villes différentes.

Quelles sont les opportunités de tournées en Ukraine ? Et à l’étranger ?

Аnastasia: L’Ukraine est un pays intéressent et unique. On a déjà joué dans la plupart des grandes villes et maintenant on voudrait partir au-delà de ses frontières, aller en Europe et partager notre passion.Marianna : A l’avenir, on compte sortir (enfin) notre premier album, le défendre sur scène, et commencer le tournage de notre premier clip. Maintenant, il m’est assez compliqué de penser les choses de manière globale, après un confinement si soudain et si long, je suis sûre que bientôt les extraterrestres vont s’emparer de notre planète…donc avant toute chose : profiter les uns des autres et continuer coûte que coûte de jouer tant qu’on aime le faire.

Häxan (Nicolaïev – Odessa)

Interview
Vika (bass/ voix)  | Dasha (batterie/ voix)  |  Olia (batterie/ voix) |  Viola (guitare)

Comment voyez-vous la scène punk DIY en Ukraine ?

La scène peut être divisée (sans parler de rivalité) selon les régions et les villes. On ne peut pas parler objectivement de la « scène » sur tout le territoire ukrainien, car ça ne fait pas si longtemps que nous jouons. On peut plus précisément parler de ce qui se passe chez nous dans le Sud : des concerts super familiaux avec une bonne ambiance depuis pas mal d’années dans la petite ville de Nicolaïev (« Mykolaiv »).  Les groupes y sont vraiment très bons. Les concerts sont plus intimistes. C’est vraiment différents des gros concerts dans les plus grandes villes comme Kiev ou Odessa. La scène punk de Nicolaïev est complètement DIY et pas du tout commerciale. La musique que tu pourras écouter ici ne sera pas dans les clubs, mais plutôt dans lieux abandonnés avec des concerts directement organisés par les groupes.

Vous jouez où en général ? La scène est-elle plus active que par le passé?

On ne s’intéresse pas du tout à l’aspect commercial, mais plutôt aux concerts locaux avec des gens du même mouvement, différents, et libres-penseurs … les enfants des sous-sols ! Après une longue stagnation, des évènements et des concerts voient le jour dans toute l’Ukraine. Récemment, on a vu apparaître de nouveaux groupes avec un line-up entièrement féminin.

Comment avez-vous formé votre groupe ? Avez-vous des “références” qui vous ont inspirées en Ukraine ?

Häxan est une expérience musicale, qui n’aurait pas pu exister avec un autre line-up. Le groupe a seulement un an d’existence, tout comme notre expérience de musicien. Par conséquent, toute notre création constitue une expérimentation en-soi.

C’est un défi envers nous-mêmes pour apprendre et découvrir de nouvelles choses.

On se connaît depuis longtemps et le groupe est comme notre enfant à toutes. Mais nous n’aurions pas existé sans l’aide de nos amis dans d’autres groupes, et en particulier le soutien de la scène de Nikolaïev. Notre style, c’est un hardcore féminin libre. On a appris à maîtriser les instruments en faisant des reprises de Fuses et de Kriwewatch et on s’est inspiré de The Iron, Tchernoflot  (Чернофлот), Reminded…

Est-ce difficile d’évoluer dans le milieu punk rock en tant que femme en Ukraine ?

Peu importe ton genre. Si tu ne connais rien à la musique et que tu décides d’en faire ça sera dur pour toi, mais il n’y a rien d’impossible pour une personne motivée, volontaire et persévérante. Les réactions du public par rapport à notre groupe n’ont pas été univoques. Les filles dans le mouvement n’ont pas été prises au sérieux pendant longtemps, mais l’activité des groupes féminins ces dernières années attire de plus en plus l’attention. La scène est à tout le monde !

Le mouvement Riot grrrl est-il en train de se développer en Ukraine ?

Cette année, le festival de musique féminine Beshketnitsi (« Mauvaises filles» ) s’est déroulé pour la première fois le 8 mars 2021.

C’est le premier évènement de ce genre. L’idée de l’organisatrice (et vocaliste du groupe Pušča) était de réunir les groupes féminins de tous les genres sur une même scène pour cette journée particulière. Nous soutenons avec enthousiasme cette initiative.

Il y a encore très peu de filles dans le punk, ce serait bête d’être divisées.

Après notre tout premier concert, le groupe Death Pill nous a contactées pour nous apporter leur soutien. Nous ne nous attendions pas à des réactions aussi rapides et nous ne pouvions que nous réjouir d’une telle rencontre. Nous essayons de nous unir à l’intérieur du pays.

Quels sont vos objectifs ?

Nous n’avions aucun objectif quand on a commencé. On s’est réunies pour essayer d’apprendre à jouer la musique qu’on aime et qu’on écoute. Au départ, c’était surtout pour nous-mêmes. Personne ne s’attendait aux retours que l’on a eu. Il y a eu de nouvelles rencontres, de nouvelles possibilités dans la réalisation de projets avec des gens très talentueux.

Maintenant, notre objectif est d’augmenter le niveau de notre jeu musical, et de nourrir la fermeté de de notre caractère pour réaliser des actions créatrices. Au final, nous sommes seulement un petit groupe qui apporte sa petite contribution à quelque chose de plus grand. S’il y a un but, c’est dans notre contribution au mouvement et dans l’unité. Il s’agit de trouver plus de choses communes dans des choses incompatibles, d’être libre dans toutes les manifestations.

Pour nous, Häxan a déjà atteint son objectif principal à savoir combiner l’incompatible par l’amour et la conscience. Surtout, on ne veut pas s’arrêter. Qui sait ce que pourra encore apporter cette expérience…