CHOCOLATE REMIX
Queen désormais incontestée du reggaeton queer et transféministe argentin, Romina Bernardo – aka Chocolate Remix – te fait twerker malgré toi depuis déjà 3 albums et des tournées à l’international !
Chanteuse, productrice et compositrice mélangeant les genres, musicaux mais pas que, elle est là pour faire grincer les dents de tout bon boomer qui trouve que quand même, ‘le reggaeton c’était mieux avant’.
| Propos recueillis par Myrtouille
Le reggaeton est historiquement connu pour être un genre musical aux paroles très sexuelles et sexistes, évidemment hétérocentrées et écrites par des hommes.
Ton projet solo a tout de suite eu pour ligne directrice de se réapproprier ce genre version queer et féministe ?
Au départ, j’ai ressenti le besoin de parler de sexe par mes propres expériences car il n’y avait pas de représentations culturelles pour celles-ci. Plus qu’une décision, je dirais qu’il s’agissait d’une impulsion qui s’alignait parfaitement à mon amour pour le reggaeton, un genre musical qui parle très explicitement d’érotisme, de sexe, et de flirt ce qui me va parfaitement.
Mon intention était de proposer une voix pour ce genre musical qui détournerait les centaines d’autres s’exprimant d’un point de vue heterocisnormatif, pratiquement uniquement écrit par des hommes, de leurs perspectives, fantasmes et/ou réalité.
En écoutant les paroles écrites par mes semblables hommes, un féminisme explicite émerge de mes morceaux. Tout s’est déroulé naturellement, la priorité n’était pas de proposer un reggaeton queer et transfeministe, parce que c’est ce que je suis et que cette identité entre souvent en conflit avec le système.
Ma musique parle donc des changements que j’aimerais voir s’opérer dans le monde. Parfois sous la forme contestataire, parfois sous une proposition, en faisant en sorte de rendre visible cette expression par les médias mainstream. Créer une scène permet de créer des possibilités.
Tes paroles sont globalement soit politiques (Ni una menos sur les violences faites aux femmes, Ey Maricon sur l’homophobie et la transphobie ordinaire) soit sur le désir et le sexe lesbien (Como me gusta a mi sur les femmes que tu aimes et comment tu aimes faire l’amour).
Mais une chose est sûre, dans tous les cas on danse ! As-tu choisi ce genre musical parce que tu penses qu’un message politique passe mieux en dansant ?
Dans la plupart des cas, les chansons contestataires sont sur une tonalité triste ou énervée (même certaines des miennes). Mais je crois profondément dans l’idée de chercher de nouvelles façons d’exprimer ces sentiments. Selon moi, l’art n’est pas que l’expression de nos pensées et émotions mais aussi un outil de sublimation de ces dernières. Ce qui nous permet de nous aligner à notre propre système (physique, émotionnel, psychologique, social) pour faire face aux défis que nous rencontrons.
Il est évident que le système dans lequel nous vivons est fait pour nous impacter négativement, avec des sentiments de dépression et de colère (il suffit de lire les news ou d’ouvrir Instagram. Cette déferlante de mauvaises nouvelles nous submerge), ce qui peut nous mettre en difficulté pour agir efficacement.
Danser est une pratique qui tonifie, réconforte, recentre, et nous connecte aux autres en harmonie. C’est comme dire « c’est important, disons-le » mais d’une façon fortifiante et énergisante.
Je pense que cette perspective est profondément ancrée en moi à cause de mon éducation à Tucumán, où l’humour fait partie intégrante de notre communication. Dans notre culture, faire des blagues sur des sujets graves, chercher de la légèreté dans le dur est quelque chose de normal.
Par exemple quand tu dois annoncer quelque chose de difficile à un.e ami.e tu le fais sur un ton humoristique. Et plutôt que de ressentir de la rancœur ou du malaise vous finissez par rire en camaraderie.
C’est une genre d’alchimie, une pratique qui tend à transformer l’inconfort en quelque chose de nourrissant. Cette dynamique est fondamentale dans mon approche artistique.
J’utilise la légèreté sur des sujets complexes. Je pense que faire face aux défis avec humour et danse les rendent bien plus abordables, moins intimidants, transforment l’énergie en quelque chose de constructif.
Sur scène tu es accompagnée de danseuses et tu te joues des attitudes de chanteur de reggaeton hyper mascu qu’on a toustes en tête. As-tu des retours d’artistes ‘classiques’ du genre, et sur ta façon de détourner ses codes ?
Ça fait partie de la satire du truc. Dans ce cas-là, cette satire n’est pas qu’une moquerie, mais aussi un hacking des sentiments et une réflexion autour de ce qui me dérange et ce qui me plaît avec ça. Tout dépend de notre système de pensées et de valeurs, tu auras toujours des réactions différentes. Certain.e.s trouverons ça normal et confortable de voir un homme-cis-hétéro dans ce rôle-là mais se sentiront mal à l’aise d’y voir une queer lesbienne et vice-versa. Certain.e.s rejettent les deux cas, alors que d’autres trouveraient ça acceptable.
Ce qui nous emmène à d’autres questions comme notre relation à l’érotisme et au contenu sexuel explicite. Quels imaginaires puis-je me permettre ? Qu’est ce qui me plaît dans ça, qu’est ce qui me mets mal à l’aise ?
Je pense qu’il y a une forme de proposition qui invite avant tout le public à se questionner. Et finalement dans le meilleurs des scénarios, les questions se suffisent à-elles-même et le public peut se laisser emporter si il se le sent.
Concernant les retours d’autres artistes, en général les gens dévoués à l’expression artistique dans le reggaeton, même sous la forme la plus classique, apprécient les propositions innovantes. Je n’ai jamais rencontré de personnes gênées ou énervées, au contraire, je perçois d’avantage au sein de la scène reggaeton une mentalité open et respectueuse à l’inverse de ce qu’on peut penser venant de l’extérieur.
En plus des paroles, tu mets aussi en avant dans tes clips des personnes trans et lesbiennes, comme dans Pornostar. Tu travailles à la visibilité d’une communauté absente de ce genre musical en créant des nouveaux récits.
Dans mes vidéos, je mets toujours en avant les communautés qui m’entourent, les acteurices, danseureuses, performeureuses sont mes ami.e.s proches.Je trouve ça crucial que les personnes queer aient une représentation significative dans la culture, et dans mon cas, c’est naturel car ces personnes sont le reflet de mon environnement quotidien.
En général, les protagonistes de mes vidéos sont des personnes queer/trans mais pas exclusivement. Par exemple dans « Ey Maricón » ces magnifiques dames sont mes voisines et tout a été filmé au quartier. Le danseur de tango est mon beau père, et nous avons filmé ça au bar « El Portuario », un lieu culturel du quartier de La Boca où j’ai vécu durant des années.
« Ey Maricón » traite d’homophobie quotidienne, de comment de simples idiots du coin peuvent t’insulter seulement pour ta sexualité ou ton identité de genre. Mais la vidéo en prends le contrepoids.
Un bar de quartier qui à son apparence traditionnelle, laisse à croire à un lieu conservateur et hostile, mais qui est en réalité rempli d’humains chaleureux avec qui nous pouvons bâtir une communauté. Dans la vraie vie, dans chaque coin de rue tu croiseras des abrutis et des personnes affectueuses.
Plusieurs de tes clips sont réalisés par Gonzalo Mitcoff, avec qui tu coécrit. C’est un réalisateur qui te suit depuis longtemps ?
J’ai fait la plupart de mes dernières vidéos avec Gonzalo. On s’est rencontré via des amis du milieux du cinéma sur Buenos Aires, et depuis nous avons développé une synergie dans le boulot.
« Pornostar » était notre première collaboration, il a directement capté ce que je voulais transmettre, et a habilement maîtrisé le langage visuel du genre musical. Nous collaborons toujours avec Mora Destroya également, à trois nous avons une très bonne dynamique, tout comme leurs équipes.
En France, tu es surtout connue de la communauté lesbienne et plus généralement queer. Touches-tu un public plus large et pas forcément LGBTQI+ en Argentine ?
En Argentine, bien que je pense être reconnue au-delà des cercles LGBTQI+ et féministes, ma principale audience sont ces derniers. C’est intéressant, j’ai l’impression d’avoir plus de followers hors de ces cercles en Allemagne. C’est fascinant de voir comment la réception varie selon ta localisation. Il y a quelques jours j’étais dans un festival en Allemagne et j’ai pu y croiser hommes cis porter des Tee-shirts Chocolate Remix. Le plus drôle c’est que je n’avais pas de merch disponible sur ce concert, ils les avaient donc d’éditions ou de tournées précédentes, ce qui est touchant.
Les projets queer reçoivent toujours plus de soutien de la communauté. De même que les projets de femmes sont plus écoutés par des femmes, alors que les projets entièrement hommes sont écoutés par tout le monde.
Je suis ravi.e qu’il existe des hommes cis qui potentiellement peuvent chanter sous la douche les paroles d’une queer lesbienne, comme moi chantant sous la douche en pensant être Gardel haha !
Comme il serait désirable de voir une joueuse de foot célébrer son but comme Messi, il est important pour une personne queer d’être visible et une possibilité acceptable pour notre société, plutôt que d’être perçues comme « au mieux » une déviance acceptable.
Tu as déjà sorti 3 albums : Satira, Pajuerana et Minga. Tu y mixes le reggaeton avec d’autres genres comme la cumbia, l’électro, le dembow, et tu qualifies aussi ta musique de rap latino antifasciste.
Est-ce que ces mélanges musicaux sont une voie que tu vas continuer à explorer dans un prochain album ?
Je ne sais pas encore. J’aime expérimenter, c’est comme ça que je tente des mix éclectiques, mais rien n’est décidé encore. Je n’ai pas encore commencé à songer à mon nouvel album : j’y songerai à mon retour de tournée. Pour le moment je réfléchis plus à des collaborations et des singles. Généralement dans ma méthode de travail, je définis un genre avant de composer.
Je sélectionne les rythmiques, les mélodies, les harmonies, les paroles que je veux transmettre principalement. Ce qui arrive après nait en phase de composition.
Occasionnellement, je pose une intention, comme travailler un style spécifique et voir jusqu’où ça me mènera, mais rien n’est réellement défini.
Tu as collaboré avec des artistes internationaux pour des featuring, comme pour l’EP commun Vente carina avec la rappeuse mexicaine Nina Dioz, et tu es actuellement sur ta 9ème tournée européenne.
Quels sont tes objectifs à venir ?
Des collaborations internationales vont sortir. A mon retour en Argentine j’ai prévu de jouer là-bas un peu, finir mon studio, et ainsi commencer à bosser le nouvel album.
J’espère que l’été prochain me ramènera sur le continent Européen comme chaque année. Après avoir travaillé l’album, le focus se fera sur le nouveau live.
A l’international, une scène reggaeton queer semble se développer.
Il y a des artistes coup de cœur que tu conseilles d’aller écouter ?
Bien que j’adorerais voir ça, j’ai l’impression que rien n’est encore assez consolidé pour avoir une scène « Reggeaton Queer ». J’ai découvert des artistes reggaeton LGBTQI+ d’un peu partout dans le monde, mais le manque de cohésion montre que l’on doit se connaître suffisamment toustes pour se revendiquer comme une scène. Cela reste un challenge. Pour moi, une scène regroupe, des musiciens, des fans, des DJs, promoteurs, danseureuses etc… qui ensemble forment une synergie de groupe.
En Argentine, la scène reggaeton alternative représente un espace inclusif pour les personnes queer, et je peux également voir une recrudescence de femmes s’impliquant dans la vie nocturne (DJs, MCs, Go-Go-Dancers).
Des artistes comme Villano Antillano, Ptazeta, Snow Tha Product, ou Young Miko ont gagné leur reconnaissance en tant qu’LGBTIQ+. Je me demande si ces artistes mainstream se sentent familiers de projets plus undergrounds comme Chocolate Remix. Additionnellement,il est important de surligner la contributions de musiciens qui ne se revendiquent ni comme reggaeton ou queer, mais qui ont contribué à ce genre.
Sara Hebe, qui est une rappeuse antifasciste, a une chanson reggaeton appelée « Sal Fina » qui est évidement dans ma playlist. Romea (Flor Linyera of Kumbia Queers), une productrice lesbienne et chanteuse de cumbia et punk a récemment sorti des chansons de reggaeton romantiques.
J’ai créé une playlist dédiée aux femmes dans le reggaeton aussi underground que mainstream, cis que queer, qui ont impacté le genre. Je pourrais en faire de même pour les artistes queer.
Question bonus : quel pays twerk le mieux ? (A part l’Argentine évidemment)
L’Amérique Latine et les Caraïbes ont un sacré level. Je pense que le mieux est au Brésil et au Caraïbes.
Mais tous les twerks sont bons, la chose la plus importante est d’apprécier et se sentir libre .