BASTIEN BOUET-ANNOUN
Luttes Antispécistes
Quand ta journée se termine, la sienne commence à peine.
Un drôle d’oiseau de nuit ce Bastien. Un punk anarchiste qui se présente à des élections. Le genre de gars qui s’opposerait physiquement à des personnes armées, qui se plierait en douze pour te filer un coup de main, et qui se taperait 42 km en courant juste pour la bonne cause. Une des siennes, c’est la cause animale.
C’est en grande partie pour la lutte contre le spécisme que Bastien donne littéralement sa vie depuis plus de vingt ans. L’occasion pour nous d’aborder le sujet du véganisme, et de tout ce que cela implique. Car si on aime parler des idées, on aime surtout parler du concret. Du parcours, du vécu, de l’action directe, du réel !
La parole est à toi Bastien !
| Par Myrtouille et Polka B. | Illustrations : Sal Paradise
Comment est-ce que t’as découvert le punk ?
Peux-tu recontextualiser l’époque ?
J’ai eu mes premiers émois musicaux en découvrant le rock déjà. Notamment avec ACDC au début du collège. Ensuite, le punk, qui véhiculait une image. Tu en voyais très peu en ville. C’était au début des années 90 en Normandie, à Caen. A 10min de Ouistreham, d’où partent les bateaux pour l’Angleterre. Ça fait sens parce que j’ai d’abord vu des punks en allant là-bas. J’avais 7-8 ans. C’était en 1985. On était près de Juno Beach, une des plages du débarquement, donc toutes les écoles du coin étaient jumelées avec des villes anglaises.
On s’intéressait au mode de vie anglais, à ses contestations. Pour nous la France c’était la lose... La Normandie, la lose de la lose. Les gens étaient très réactionnaires et très jugeant sur les apparences, donc le punk c’était libérateur pour nous.
Vous alliez directement en Angleterre ?
Bien sûr. On était mineurs et on faisait le mur pour y aller ! On séchait les cours du vendredi. Le jeudi soir, on disait à nos parents qu’on dormait chez un pote et qu’on irait en cours le lendemain. On allait jusqu’à Ouistreham en vélo, on l’accrochait à un lampadaire, on prenait le bateau pour l’Angleterre et on revenait le dimanche. Le stop marchait super bien, donc on allait de Portsmouth jusqu’à Londres en 2-3 heures, et on passait le week-end là-bas. Ça nous reboostait. Mais le dimanche… Non seulement on avait la gueule de bois mais aussi la lose intégrale de refoutre les pieds dans notre bled !
Le punk t’a amené à te politiser ?
Oui, car la 2ème chose qui nous a attiré ce sont les paroles. A l’époque, on avait très peur avec mes potes d’aller faire l’armée parce qu’il y avait la guerre Iran/Irak. L’antimilitarisme était notre premier engagement politique. Ce qui y répondait était le punk.
On se reconnaissait dans le mouvement de pensée anarchiste, et pas communiste parce qu’il y avait là une valorisation de l’État qui était insupportable pour nous. C’est l’État qui fait la police, qui fait l’école, qui tient la matraque.
Comment t’es tu intéressé à la cause animale ? Quel a été ton cheminement vers ces questions ?
Enfant, j’avais une hypersensibilité à la souffrance. A la douleur humaine et animale. Les deux de façon égale. Ça me tourmentait.
Quand je voyais des images sur la tauromachie ou des récits de terrains de guerre, ça m’empêchait de dormir au sens propre du terme.
Pour moi, la douleur du vivant « sensible » est toujours la même. Jusqu’à preuve du contraire, une plante ne souffre pas, c’est pour ça qu’on mange du houmous et pas du chien.
Mais si t’écrases une clope sur la cuisse d’un chien il va gueuler, comme toi tu le ferais à sa place. Il y a peut-être des différences de ressenti entre les animaux et nous, mais la douleur est bien là.
Quand es-tu devenu vegan ?
J’ai été végétarien de bonne heure, en 2001. Puis vegan sur le tard vers 36-37 ans, en 2014. Je me suis engagé de ce côté-là parce que je me suis aperçu qu’il y avait très peu de force militante orientée vers la douleur animale par rapport à ce qu’il y avait du côté des humains. Il y en a toujours trop peu du côté des humains, ce n’est pas ça que je suis en train de dire, je dis que la souffrance animale est insondable quantitativement. Ce n’est pas un choix affectif mais un choix raisonnable. Il y a un abîme de souffrance : 3 millions d’animaux tués chaque jour rien que dans les abattoirs français, dans les conditions que l’on sait. Le véganisme est un moyen de diminuer la souffrance animale à son échelle.
Tu avais déjà une expérience militante. Qu’est-ce que le courant d’idées antispéciste a de particulier par rapport aux autres? Comment es-tu entré dans ce milieu ?
Le milieu antispé est particulier dans le sens où la souffrance animale est telle que les militants ressentent les choses assez personnellement dans leur combat. C’est dur, parce qu’il y a très peu d’évolution. Même s’il y a une prise de conscience, les faits ne suivent pas. C’est pour cela que je me suis engagé politiquement.
J’ai rejoint des organisations comme L214. Avec une amie qui s’appelle Carole Maure, on a ouvert la 1ère antenne à Toulouse en 2017. Puis quand le Parti Animaliste s’est lancé, j’ai été candidat à des élections législatives.
Ça peut paraître étrange de ma part, vu que je ne suis pas favorable aux instances républicaines. Mais pour moi, il faut reconnaître un truc indéniable : les animaux souffrent quel que soit le système social. Il y a des choses qui, pour l’instant, ne peuvent passer que par des voies législatives ou réglementaires, mais qui feraient déjà grandement diminuer la souffrance animale.
On peut prendre l’exemple des poules en cage : supprimer les cages ne veut pas dire supprimer la mort de ces poules-là mais déjà améliorer leur condition de vie. In fine, je milite pour la fin de l’élevage.
En bref, c’est une approche qui n’est pas « émotionnelle » contrairement à ce que l’on peut penser. C’est une approche matérielle, par la souffrance et la douleur. Si tu mets un animal dans l’équivalent d’une feuille A4 toute sa vie, il sera moins bien que s’il a accès à l’extérieur. Si tu tues un animal à 16 mois, tu raccourcis sa vie par rapport à une mort naturelle à 10 ans.
Hormis le véganisme, quels sont tes modes d’action ?
Il y a tout un tas d’actions illégales que j’ai faites dont je ne parlerai pas parce que j’ai encore des procès en cours.
C’est un point intéressant chez les antispécistes : la question de l’efficacité dépasse celle de la légalité. Dans un monde où les animaux sont traités comme des objets (et le sont au regard du code civil), on ne va pas respecter des lois qui ne les reconnaissent pas dans le but de les protéger. Pour nous, la légalité n’est pas éthique vis-à-vis des animaux puisqu’un animal sauvage n’a aucun droit. Les mecs qui ont séquestré un renard et l’ont torturé toute une soirée ne seront pas inculpés.
Si c’est un animal domestique en revanche, il y a bien un chef d’accusation (« sévisse grave et acte de torture sur animal domestique, captif et apprivoisé »).
C’est précisément ce genre de carence qui me pousse au compromis avec la politique, et à friser avec le cadre de la loi. Les antispécistes enfreignent la loi parce qu’ils la considèrent immorale.
Au final pour nous, la bonne action est l’action efficace. L214 sont sur les deux fronts avec une partie illégale (voler des images, filmer les abattoirs…) et une partie plus légaliste qui pourrait s’apparenter à du lobbying auprès des grosses sociétés.
C’est quand même un engagement courageux. Non seulement tu te mets en porte-à-faux vis-à-vis de la loi, mais en plus, les ennemis que tu as face à toi (comme les lobbys) sont extrêmement puissants. Ils détiennent le pouvoir, les réseaux et l’argent.
Je ne suis pas un personnage public mais j’ai un ami, Eddine Ariztegui, qui est élu à Montpellier comme adjoint sur ce thème. Il s’est pris beaucoup de menaces de mort et d’intimidations, notamment parce qu’il a réussi à faire de Montpellier la première grande ville française sans chasse. Les animalistes ne sont pas des gens qui se destinaient à une carrière politique. En général, leur vie personnelle s’en portait bien mieux avant !
S’engager politiquement au Parti Animaliste, est-ce surtout pour rendre cette lutte plus visible ?
C’était évident qu’on n’allait pas être élus, d’ailleurs on a fait moins de 2%. C’est dans le cadre d’une stratégie en plusieurs temps.
On sait que les gens qui votent pour le Parti Animaliste ont voté pour la cause animale en priorité, ce qui fait chier d’autres formations politiques à gauche comme à droite, parce qu’ils constatent qu’ils ne peuvent pas s’accaparer ce thème. Quelque part, c’est 2% de perdu.
On veut d’abord montrer qu’il y a un électorat sur ce sujet.
Et dans un deuxième temps, faire en sorte que les autres s’emparent du sujet. C’est un outil ! On part de tellement loin… Il nous faut des victoires, c’est la priorité.
Quand tu dis que « la souffrance animale, ce n’est pas bien » tout le monde va être plus ou moins d’accord. Le problème, c’est qu’au delà du jugement moral, rien ne semble vraiment changer…
C’est exactement ça. Jusqu’à récemment, il n’y avait aucune politique animaliste en France, contrairement aux Pays-Bas ou à Allemagne. Ça ne veut pas dire que le Parti Animaliste dénonce les organisations plus souterraines. C’est juste que ce volet « politique » n’existait pas. Il fallait créer cette vitrine. Les médias ont besoin de porte-paroles.
C’est malheureux, mais un moment donné il faut t’oublier et jouer ce jeu-là. Je le répète : les animaux se foutent bien pas mal que la libération animale soit menée par des associations, par un parti politique, ou un groupe de vegans anonymes qui font de la casse matérielle. On agit dans le même sens.
C’est une question que nous aurions du te poser dès le départ : comment expliquer le concept d’antispécisme à quelqu’un qui n’en a jamais entendu parler ?
Je vais commencer par définir le spécisme. C’est un système d’idées et de pratiques qui met une frontière de considération entre les humains et les autres animaux, et entre différents groupes d’animaux (entre un animal domestique et d’élevage par exemple). On souhaite lutter contre cette idée, par le biais du véganisme par exemple.
Attention, on ne veut pas donner des droits égaux ou je ne sais quelle connerie ! On demande une égalité de considération (c’est-à-dire des intérêts), vis-à-vis d’un seul critère : la sensibilité.
Pour nous, le critère de l’espèce n’est pas un facteur déterminant à la reconnaissance de la souffrance.
C’est important de dire que ce raisonnement ne se base pas sur l’émotionnel. Souvent les vegans invités sur les plateaux TV sont stigmatisés pour discréditer les raisonnements logiques de l’antispécisme.
N’est-ce pas une guerre de communication ?
Je n’aurais peut-être pas du parler de mon hypersensibilité étant enfant (Rires). Mais oui, l’antispécisme peut même résulter d’une approche assez froide. On ne regarde pas des vidéos d’abattoirs le samedi soir en pleurant !
Pour discréditer les partisans de l’antispécisme, les médias essaient de les faire passer pour des extrémistes, des gens qui n’ont aucune mesure. Souvent les personnes qui aiment la viande se sentent attaqués, même ceux qui n’ont rien de particulier contre l’antispécisme.
Selon toi, quelle serait la bonne approche pour que les gens ne se sentent pas pointés du doigt parce qu’ils aiment manger un jambon-beurre ?
C’est tout le problème de la nuance. Les médias ont tendance à déformer la parole d’associations, de partis politiques ou même d’individus en les faisant passer pour ce qu’ils ne sont pas, c’est-à-dire des gens qui attaquent personnellement d’autres gens. On veut s’attaquer au système (les politiques, les lois…) pas aux gens ! Personne ne choisit de manger de la viande quand il est gosse. On nous habitue. On nous force à croire que c’est quelque chose de « naturel ».
Ça ne veut pas dire qu’ensuite on n’a pas de responsabilités devenu adulte, mais cela ne sert à rien de se sentir coupable. Sans compter qu’il y a des échelles de responsabilité différentes. On ne peut pas comparer un simple consommateur de viande à un patron des abattoirs Bigard, 50e fortune française, multimilliardaire, et qui envoie plusieurs dizaines de millions d’animaux par semaine à l’abattoir.
Et l’appellation « extrémiste » n’est pas innocente. Il faut bien le dire, notre pays est très réactionnaire. En France, la tauromachie est une mafia. Ce sont presque des militants ! On parle de 200 000 personnes qui arrivent à maintenir cette tradition dans 10 départements français.
Pareil pour les chasseurs, ils sont bien plus déterminés que les animalistes. Leur organisation est redoutable. Ils cotisent tous à la fédération nationale de chasse via les fédérations départementales. Il n’y a pas d’histoire de chapelles. Ce système a été créé par ordonnance du Maréchal Pétain en 1943 (tu vois l’ambiance…). Il y a donc un président national, et des bureaux départementaux très actifs qui ont la liste de tous leurs adhérents. Dès qu’il y a un projet de loi remettant en cause la chasse, ils déboulent direct dans les permanences parlementaires des sénateurs et des députés.
Ils sont visibles, ils sont organisés. Je suis désolé, mais ils sont beaucoup plus stratèges que la plupart d’entre nous.
Est-ce aussi pour cela que les militants antispécistes sont très soudés ? Parce qu’en face il, y a un vrai danger avec des gens extrêmement déterminés qui possèdent des armes…
Oui, et à la campagne ils bénéficient d’une sorte d’impunité, comme les flics. Je rapproche souvent les deux. Dans le monde dans lequel on vit, il n’y a rien de pire que le sentiment d’impunité. Je parle de réelle impunité. Ils peuvent tuer, ils ne vont pas en prison. Après c’est normal, quand tu sais qu’il ne va rien t’arriver tu en profites. Dans le roman national, l’image du père de famille, patriarche, qui a le bon sens paysan et qui connaît la chasse est très valorisée.
Je connais des militants animalistes qui se mettaient directement entre le gibier et le chasseur, ce qui a d’ailleurs conduit à un décret en 2011 contre des activistes de l’association Droit des animaux. Les chasseurs ont réussi leur lobbying pour créer le délit « d’entrave à la chasse ». C’est réellement interdit par la loi maintenant.
Peut-on tout de même se réjouir de potentielles évolutions ?
Ça ne va jamais aussi vite qu’on le veut, mais je suis très optimiste. Il y a un effet générationnel, une jeunesse plus végétarienne, plus sensible et prompte à faire évoluer ces questions. Il y a des élus du PA qui ont réussi à mettre des options végétariennes dans les cantines des collèges et lycées. Là où il y a de la restauration collective, les jeunes de moins de 35 ans sont davantage prêts à adopter ces alternatives.
C’est beaucoup plus difficile de faire bouger une personne de 65 ans sur ses habitudes alimentaires qu’une personne de 20 ans. Là encore ce n’est pas culpabiliser la personne de 65 ans, mais c’est un état de fait.
La parole des animalistes était complètement ridiculisée il y a 25 ans, on était considéré comme sectaires, nous allions mourir, soit les deux ! C’était compliqué, on n’en parlait pas du tout dans les médias.
N’est-ce pas un thème souvent décrédibilisé face aux autre urgences dans le monde, à toutes ces catastrophes mondiales, aux guerres ?
Oui, c’est l’argument de la « priorité » face aux échelles d’urgence. Ils vont nous dire qu’il y a plus important ailleurs. Mais bon, quand ces mêmes gens visionnent les images d’exécutions dans les abattoirs, cela les calme un peu !