ATELIER MCCLANE
Pour ce numéro, on prend la route en direction de Saint-Brieuc ! C’est dans les Côtes d’Armor que sévit l’excellent binôme « Atelier McClane », également responsable du fanzine de luttes « Champs de Ronce ». La pensée politique de la revue est aussi fine que tranchée, à la fois libertaire, antifasciste, et toujours servie par un graphisme impeccable. La parole est à Julie et Hugo, qu’on remercie pour la couv’ originale de ce Karton #14 !
| Par Polka B.
Pouvez-vous vous présenter individuellement et à tour de rôle ? Quel est votre parcours artistique, en lien ou non avec le domaine du fanzine ?
Hugo : Moi c’est Hugo (il). J’ai toujours dessiné depuis petit, et contrairement à mes potes je n’ai jamais arrêté. C’est alors devenu mon activité à plein temps. J’ai un parcours assez classique de jeune blanc de classe moyenne, qui vivait dans des villes pas trop pourries genre Strasbourg et Rennes. Je me suis retrouvé en fac d’arts plastiques.
Ensuite, je suis allé aux Beaux-Arts à Dunkerque, et quand je suis revenu à Rennes j’ai rencontré Julia. On a commencé à bosser ensemble à ce moment-là. J’ai découvert le fanzinat via le punk-hardcore car traînais pas mal dans les concerts.
Julia : Moi c’est Julia (iel/ elle). J’ai grandi plutôt en campagne avec plus de difficultés à avoir accès à des concerts et à une « scène ». J’ai fait aussi des écoles d’arts à Orléans et Rennes.
Je pense que je faisais déjà des fanzines sans mettre un nom dessus ! Je faisais du DIY dans mon coin sans penser à le diffuser. Quand on a commencé à traîner ensemble, on a naturellement atterris dans ce milieu.
H : Dans les écoles, on voulait nous ranger dans des cases. Dans ce qui était supposé « être de l’art ». Faire des fanzines, pour nous, c’était réagir à ce postulat de base.
On voulait surtout créer nos propres objets et les montrer aux gens en direct. Des choses hyper abordables et modestes dans leur forme. Les fabriquer et les diffuser nous-mêmes, c’était très libérateur. Pas la peine d’être légitime !
Vous avez croisé vos univers artistiques en 2013. Comment est-né l’Atelier McClane et pourquoi ce nom ?
H : Le début de notre travail correspond aussi au fait de relationner. On passe beaucoup de temps ensemble et on adore dessiner. Il nous est apparu évident de commencer ce boulot à quatre mains.
Au départ, c’était sous la forme d’un cadavre exquis avec des carnets de croquis communs. Progressivement, on a fait évoluer cette collab’ qui prend maintenant la forme d’un dialogue. Ce sont nos individualités qui s’expriment entre-elles. Au départ c’était encore et toujours en réaction à l’école.
On voulait faire quelque chose de moins « ego-tripé », de plus alternatif, le tout sous une forme artisanale. Et le nom de notre atelier fait référence à un célèbre film d’action des années 90, avec le personnage de…
John Mc Clane !
H: C’est ça (Rires) ! Dans le film Piège de Cristal.
J: On avait pas trop d’inspi. Et à cette période-là, on se matait la trilogie Die Hard. Bon… C’est quand même le nom d’un flic !! Au final, on trouvait que cela sonnait plutôt bien, alors c’est resté.
Votre binôme artistique a maintenant 10 ans. Comment voyez-vous son évolution au niveau esthétique ?
H: Il a beaucoup évolué ! On est partis sur des monstres, des choses plutôt gores…
J: À une période, le trash et l’outrancier nous ont fortement marqué. On était très influencé.e.s par les travaux du Dernier Cri, mais on a fini par s’en lasser.
Cela ne nous correspondait pas tant que cela.
Plus les années avancent, plus vos travaux semblent s’épurer. Comme si vous cherchiez à privilégier l’impact graphique d’un dessin plus direct.
H: C’est juste. Cela va de pair avec notre parcours de politisation. Dans nos premiers dessins, on cherchait à produire un discours complexe dans la saturation de l’espace, avec le plus de détails possible.
Maintenant que notre pensée est plus claire, on a tendance à se diriger vers des compositions plus simples.
« Et c’est l’ensemble des différents tableaux qui viendra porter une narration pour nourrir un propos. On le veut clair et impactant. On ne produit que du noir et blanc. On ne fait pas de textures ou de nuances. On ne joue pas avec la lumière. »
Pourquoi cette absence de couleur, ce refus du dégradé ? Cet attachement au noir et blanc vous vient-il du DIY ?
J: Je pense que oui. Le noir et blanc plaque une sorte de radicalité qui est imbattable.
H: Le DIY, c’est aussi un calcul (plus ou moins calculé) d’économie de moyens. Parfois, on fait de la couleur, car la technique d’imprimerie du RISO nous permet d’imprimer très simplement. Cela va à l’essentiel. Comme si nous bossions en noir et blanc.
Vous exposez parfois dans des lieux dits « légitimes », ou du moins « institutionnels ». Est-ce important pour vous d’amener cette touche DIY dans ce type d’endroits ?
H: On le conscientise clairement. On a tout de même fait le choix de bosser avec des structures qui rentrent dans notre éthique. C’est pour cela qu’on fait assez peu de commandes. On ne participe pas à des campagnes de communication. Par contre, on assume clairement d’amener des éléments politiques dans le milieu artistique plus institutionnel. Il y en a trop peu à notre goût.
« À contrario, dans des endroits plus politisés, les propositions visuelles nous paraissaient assez stéréotypées. On essaie de bousculer un peu les codes, à notre échelle. »
On observe que les codes visuels du milieu alternatif se répètent beaucoup. Ce serait à priori l’endroit le plus « libre », où l’on pourrait se sentir capable de s’affranchir des références déjà existantes. Mais ce n’est pas toujours le cas. Il est pas exemple assez difficile de se détacher de l’esthétique du Dernier Cri, qui a influencé toutes une génération mais qui peine à se renouveler.
J: C’est vrai. On ne pourra jamais rejeter ces influences, car elles restent importantes pour nous. Mais quand tu commences à te questionner sur des positionnements féministes, certains auteurs du Dernier Cri sont problématiques. Si être subversif, c’est dessiner des mecs en train de torturer des meufs, je ne suis pas d’accord. Il ne s’agit pas de parler de censure, mais je ne pourrais plus lire certains ouvrages sans être dégoûtée.
Les générations plus anciennes devraient un peu se remettre en cause là-dessus.
H: Il y a clairement des « chapelles » esthétiques. Qui se mélangent assez peu finalement. Et même si elles se développent au sein d’une scène alternative, elles ont tendance à s’uniformiser.
Vous êtes très investis dans l’auto-édition. Qu’est ce qui vous pousse à continuer à sortir autant de fanzines de si bonne qualité ?
(On sait que cela prend du temps, et que cela ne rapporte pas grand chose !)
J: Ce medium est synonyme de liberté.
Tout faire de A à Z, c’est magnifique. C’est le meilleur support possible pour s’exprimer et diffuser des idées.
Personnellement, je n’ai jamais trouvé mieux !
Comment définiriez-vous votre fanzine Champs de Ronces ?
J: C’est un journal de lutte. L’an dernier au moment des manifs contre la réforme des retraite, on a trouvé des gens aussi motivés que nous !
On s’est lancé là-dedans de façon assez simple en faisant appel à notre réseau. On a reçu de super contributions.
Le sortir tous les mois, c’était difficile ! Maintenant on le sort tous les deux mois. On maintient ce rythme depuis un an. Et c’est chouette !
H: Au départ, on voulait le distribuer dans les manifs. Mais St Brieuc, c’est moins actif que Rennes ! Aujourd’hui, on s’en sert surtout pour soutenir des caisses anti-rep, dans une optique un peu plus large. Le journal est peu cher à la production. C’est tout l’intérêt du support ! Cela nous permet de maintenir du prix libre, hormis pour les points de dépôt en librairie.
Quels sont vos projets pour le futur ?
H: De continuer à politiser tout ce qu’on fait. Il y a vraiment urgence avec la montée du fascisme et de l’extrême droite. C’est un choix autant qu’une nécessité. La situation est vraiment préoccupante.
On veut garder cette radicalité. Cela influence fortement nos productions et nos images.
Vous écoutez quoi en ce moment ?
J: On est pas originaux et très chauvins alors on va dire Syndrome 81 (Rires) !
H: On a découvert récemment la scène « Dungeon Synth ». C’est assez bizarre et plutôt cool ! Cela mélange musique médiévale et sonorités électroniques ambient.
J: Il faut écouter la playlist Youtube « The Dungeon Noise Cavern ». Comme on est fans d’heroic fantasy cela nous fait de bons fonds sonores pour travailler !