De passage à Ambra en Toscane, nous avons rencontré les militants vegan du collectif Agripunk. Après avoir contribué à fermer un élevage intensif de dindes, Désirée et David ont rapidement reconverti l’ancienne exploitation pour en faire un refuge pour animaux! Un endroit unique en son genre, atypique et dynamique, accueillant des volontaires du monde entier. | Interview by Polka B.
Peux-tu nous raconter le début de l’histoire Agripunk ? Pourquoi s’être précisément intéressé à cet élevage intensif de dindes ?
Désirée : il s’agissait d’un élevage intensif de dindes pour Amadori et McDonalds. Quand j’ai rencontré David qui vivait dans le coin, il m’a parlé de cette ferme et du mauvais traitement infligé aux animaux. Je me souviens que nous sommes entrés ici en avril 2012, en nous faisant passer pour de futurs voisins. Ils ont ouvert la porte d’un des hangars.… et j’ai toutes ces dindes, toutes blanches, certaines sans doigts, d’autres sans plumes ou blessées… Quand nous sommes revenus ici pour faire des photos et des vidéos, elles se sont avancées vers nous en faisant du bruit. C’était comme si elles nous demandaient : « qu’est qui se passe? ». J’ai vu qu’elles étaient intelligentes, curieuses et douces. Elles criaient à cause de la chaleur, de la surpopulation et de l’oppression créée par cet endroit. J’ai donc décidé de tout faire pour le faire fermer. Je pensais que c’était le minimum que nous puissions faire. Nous avons récolté des informations auprès des gens du voisinage, nous avons montré des vidéos et des photos aux vétérinaires qui sont venus ici pour constater tous ces mauvais traitements. Finalement, nous avons obtenu gain de cause et l’agriculteur a du partir ! Nous avons occupé une partie de la ferme pendant un an, et ensuite, nous avons demandé au propriétaire de nous louer l’ensemble de l’exploitation pour que nous puissions nous y installer de façon durable.
Quelle était votre stratégie pour fermer la ferme ?
D : Nous en avons envisagé plusieurs. Celle que nous avons choisie n’est pas la seule. Nous en discutons beaucoup avec d’autres militants. Certains disent que la meilleure chose à faire est de montrer les images de torture et d’exploitation. D’autres disent qu’il est primordial de rappeler qu’il y a beaucoup de nourritures alternatives à la viande. Certains affirment que la meilleure stratégie, c’est le sabotage… Pour moi, il y a toutes sortes de façons de fermer une ferme. Je pense qu’informer, faire des enquêtes, parler aux gens du coin… est vraiment une très bonne méthode ! En 2012, nous avons fait un blog et une page facebook pour diffuser les vidéos au maximum. Nous avons aussi tenu un stand sur de nombreux événements locaux avec un grand écran. Là les gens ont pris conscience du problème : « qu’est-ce que c’est ? Est-ce que c’est la ferme d’Ambra ? Ce n’est pas possible ! ». Les fermiers avaient beaucoup trop d’animaux dans un espace très restreint et leurs donnaient beaucoup d’antibiotiques. Lorsque les vétérinaires ont eu la preuve de tous ces mauvais traitements, ils n’ont pu que venir ici afin d’acter la fermeture. L’agriculteur qui gérait la propriété a quitté la ferme, il était fatigué de tous ces problèmes.
N’avez vous jamais essayé d’en parler directement avec lui ?
D : J’ai vu le fermier quelques jours avant son départ. Il ne savait pas que j’étais militante vegan. On a parlé toute la matinée et je lui ai demandé pourquoi il faisait ce boulot. Il m a répondu: « Je ne sais pas, c’est l’activité de ma femme et je travaille pour elle, mais je ne mange pas de dinde ou de poulet car je sais dans quelles conditions ils sont élevés ». Nous avons parlé de tout, de la chasse, de la ferme, de l’exploitation animale et de l’expérimentation. Nous avons finalement su qu’ils avaient changé de travail. Nous avons été bien informés et nous en sommes sûrs !
En 2013, vous avez commencé à vivre à l’intérieur de l’exploitation. Quel était votre objectif à ce moment précis ?
D : Lorsqu’une ferme ferme ses portes, un autre agriculteur peut venir la prendre et recommencer à élever des animaux. Nous en avons donc conclu que nous devions l’occuper pour en faire quelque chose. L’espace est vaste ! Il y avait vraiment beaucoup de potentiel. C’est un véritable laboratoire pour les activités, les arts. J’ai étudié l’art, la sculpture et la conservation, ce sont des choses qui me touchent. Nous avons rapidement décidé de créer un espace de liberté pour l’expression artistique au sens large. Les grandes écuries, elles, pouvaient servir à sauver des animaux en situation d’abandon. On a vu qu’on avait l’occasion de créer quelque chose de plus semblable à la « vraie » liberté.
À l’origine, ce lieu était occupé. Pourquoi avoir rejoint la légalité en payant un loyer ?
D : Les animaux sont également soumis à un code bureaucratique. Ils doivent avoir des documents, Il faut aussi avoir une autorisation pour les écuries. Tout cela est impossible avec un endroit non légal. Si on pouvait occuper les lieux sans payer ce serait mieux, mais ce n’est pas réaliste. Aujourd’hui, les animaux sont en sécurité. Si je m’occupe bien de cet endroit, je peux le défendre. Les animaux, eux, ne peuvent pas le faire.
Vous hébergez ici beaucoup d’animaux de toutes sortes. Comment les avez-vous trouvés ?
D : Les moutons et les chèvres ont vécues des situations très différentes. Certains ont été sauvés par d’autres personnes, ou ils n’avaient pas de place pour s’en occuper. D’autres étaient âgés et n’étaient plus « exploitables ». Dans d’autres cas, il s’agit de bébés qui ont été retrouvés et sauvés. Ce sont souvent des particuliers qui nous appellent, mais nous collaborons beaucoup avec des associations de libération comme « Resistanza Animale ». Nous avons aussi de nombreux militants en Sicile. Récemment, ils sont allés discuter avec les autorités locales. Nous avons eu de la chance car le maire de Messine est pacifiste et écologiste. Il est particulièrement opposé aux situations d’exploitation. Il nous a compris sur beaucoup de sujets. En lien avec lui, nous avons pu recueillir beaucoup d’animaux. Ici à Agripunk, la plupart des animaux ont des histoires vraiment folles…
Pourquoi avoir intégré le mot « punk » dans le nom de votre association ?
D : Pour moi, la culture punk défend l’idée d’une rupture, d’un effondrement de l’exploitation dans un système donné. Ici, toutes nos actions s’intègrent dans l’opposition face au système agricole et aux logiques de production à grande échelle. On ne veut plus d’animaux dédiés à la production. Dans cette logique d’activisme et de changement, nous sommes très demandeurs ! Nous sommes prêts à accueillir tous ceux qui veulent travailler avec nous. De nouvelles personnes viennent. De nouvelles idées et de nouvelles énergies se développent. Ces derniers temps, nous avons monté une bibliothèque, le Lab’Art. Lorsque nous regardons cet endroit, nous nous efforçons de réfléchir à tout ce que nous pouvons en faire. Il y a beaucoup d’espace disponible, beaucoup de possibilités. Nous aidons régulièrement des gens qui sont à la recherche d’un endroit pour organiser des fêtes, et nous organisons nous-mêmes des festivals et des concerts. Cela fédère beaucoup d’énergies !